« Ha ! ha ! famille nombreuse, famille heureuse, quand on est frère et sœur. Ha ! ha ! c’est le bonheur, on a du cœur, quand on naît frère et sœur… » Peut-être, sans doute, y a-t-il une légère ironie dans cette chanson des Négresses Vertes. Car tout n’est pas bleu ni rose dans la fratrie ; si l’éducation n’a pas été bien assurée par les parents, les taquineries de l’enfance, qui laissent place aux disputes de l’adolescence, sont un poison qui ressort sous différentes formes à l’âge adulte. Les « frères ennemis » ne sont pas une légende !
La longue histoire des relations parfois compliquées – c’est un euphémisme – entre membres d’une même fratrie ne date pas d’hier : dans la Genèse déjà, Caïn, fils aîné d’Adam et Eve, tue par jalousie son frère Abel. Heureusement, même en cas de rivalité, toutes les histoires n’atteignent pas cette extrémité-là. Et globalement, tout se passe très bien dans les familles, où règne entre frères et sœurs une entente parfaite, au point que le frérot ou la frangine nous manque quand il (elle) n’a pas donné de nouvelles depuis longtemps. Au mieux, il existe avec lui (elle) une entente fusionnelle, une proximité de chaque instant. Il faut dire que c’est un lien puissant qui nous unit, presque indestructible, car nous sommes issus d’un même ventre, et nous nous représentons, fantasmatiquement, « comme autant de morceaux d’un même corps », selon la psychologue Françoise Peille*. Surtout si nous nous ressemblons !
De l’enfance à l’âge adulte
Ce n’est pas un scoop, beaucoup de choses se jouent dès l’enfance. Dès le début, les relations entre frères et sœurs ne sont pas à prendre à la légère. Pour la bonne ambiance familiale d’une part… et pour le reste, d’autre part. Marie-Laure Colonna, psychanalyste, certifie que « nous vivons, dans nos rapports sociaux, des projections inconscientes de ce que nous avons connu dans nos fratries »*. Des jeux qui se passent mal, des injustices criantes, des rapports de force trop brutaux, réapparaîtront plus tard, dans notre relation aux autres, au travail, avec l’entourage. Le contraire est vrai aussi : des relations fraternelles paisibles annoncent une vie plus sereine, au moins sur le plan familial. Chose amusante, certains chercheurs affirment que l’on peut deviner le rang d’une personne dans sa fratrie à sa façon de se comporter en société. Sans parler de la vie amoureuse : un psy indique par exemple qu’il a rarement vu l’aînée d’une fratrie se mettre en couple avec un petit dernier. Pas envie de rejouer à la maman, peut-être ?
Ce n’est pas un scoop, beaucoup de choses se jouent dès l’enfance.
Naissance des conflits
Mais quand le lien est déséquilibré, apparaissent des conflits, de la violence, qui perdurent, qui se raniment alors que reviennent du fond des âges les souvenirs d’une enfance au cours de laquelle un individu n’a pas été suffisamment, selon lui, reconnu, valorisé par ses parents, à la différence d’un frère, d’une sœur. Selon Sabine Achard, psychologue et thérapeute familiale, « la compétition est normale durant l’enfance, mais doit s’estomper à l’âge adulte ». Quand ce n’est pas le cas, s’invitent à la table familiale des insultes, des disputes, une haine, qui cachent un conflit profond qui n’a jamais été réglé**. Combien de problèmes autour d’un héritage qui puisent leurs racines dans des histoires remontant à des années, des décennies auparavant ? Les frustrations, les jalousies de l’enfance trouvent un écho une fois que l’on est devenu adulte : ce ne sont plus les petites voitures ou les poupées que l’on envie, mais la maison, le 4×4, les vacances de l’autre.
Bases d’une relation apaisée
Pour se développer, les enfants, même nombreux, doivent être acceptés dans leur singularité. Et dans une grande fratrie, le risque est grand que certains, plus timides, soient inhibés par d’autres. C’est aux parents de nouer entre chaque individu des relations fortes. Mais comment instaurer et maintenir ce lien entre frères et sœurs, prélude à l’équilibre familial ?
Tout commence quand un bébé arrive. C’est une idée récente dans notre culture, inexistante dans d’autres : faire en sorte que l’aîné ne souffre pas, ne soit pas jaloux, à l’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur. « Mais pourquoi croire que ça va être traumatisant, et par là même, prendre trop de précautions ?, s’interroge le psychologue Didier Pleux. Il suffit de lui annoncer simplement que la famille va s’agrandir, se tenir prêt à répondre à ses questions, lui faire toucher le ventre de la maman pour qu’il ressente les mouvements d’un futur compagnon de jeux ! » Pas trop tôt – car que dire en cas d’accident de grossesse ? –, et sans montrer les échographies sauf s’il en manifeste l’envie. Ne pas promettre non plus que tout sera comme avant, que rien ne changera, alors que c’est faux et qu’il s’en rendra compte. Il faut parler vrai, l’inclure dans les préparatifs, tout en lui expliquant que sa venue à lui aussi a été une fête.
Obliger tout le monde à s’aimer ? Impossible.
Parole et autorité
Ensuite, quand les enfants grandissent, « il appartient aux parents de tempérer les excès motivés par la jalousie et le désarroi », de reconnaître, les qualités de l’un et de l’autre. Les voir tels qu’ils sont plutôt que de vouloir à tout prix qu’ils se ressemblent et fassent les mêmes activités. Chacun ses goûts, chacun sa nature ! À eux aussi de bien gérer l’enfant du milieu, en lui faisant comprendre qu’il n’a pas encore les droits de l’aîné (mais cela viendra), et plus ceux du petit dernier (mais il les a eus)… Et surtout, en cas de chamailleries, car il y en aura fatalement, intervenir. « Les parents qui se disent que ça passera se trompent. Sans intervention, les plus forts l’emportent sur les plus faibles, qui se vengent par délation. » Aux parents de jouer les médiateurs donc. Prenant à rebours une idée très répandue, Didier Pleux se récrie : « L’autorégulation est un mythe aberrant ! »
Pour conclure
« Naître du même homme et de la même femme, grandir ensemble et partager les événements familiaux, cela crée un lien historique définitif, mais n’implique pas de s’aimer tous », écrit Didier Pleux. De fait, « c’est au sein des familles en général et des fratries en particulier que se nouent les liens les plus forts et s’ourdissent les plus cruels complots ». Les exemples sont légion. Obliger tout le monde à s’aimer ? Impossible. Les efforts faits dans ce sens par les parents ne sont d’ailleurs pas forcément le signe d’une bonne éducation. Celle-ci consiste à maintenir un cap éducatif, non permissif, et à tracer autour des enfants le cercle des limites à ne pas franchir. Il en découlera le respect, l’écoute… et au final, la concorde familiale.
*« La fratrie construit notre identité », sur psychologies.com
**« Les relations fraternelles toxiques, quand frères et sœurs se haïssent », sur madame.lefigaro.fr
Sébastien Drouet
Familles recomposées : rompez les rangs !
Évidemment, en cas de formation d’une nouvelle famille, l’ordre de naissance des enfants risque d’être chamboulé. Et donc, les rôles des uns et des autres. Sans compter l’incompatibilité des caractères, les différences multiples entre les histoires vécues, etc. La première des choses est de faire accepter à sa progéniture le nouveau compagnon ou la nouvelle compagne, avant de présenter le reste de la tribu. Il va alors falloir mettre de côté les habitudes – rarement les mêmes – prises dans les anciens foyers respectifs et réinventer un code familial nouveau. Pas facile, car les parents répugnent à embêter une fois de plus les enfants avec des règles contraignantes, sitôt après avoir bouleversé leur vie par une séparation dont ils ne sont pas la cause. Et face aux problèmes, que faire ? Se taire ? Surtout pas, conseille Didier Pleux : « Les parents doivent absolument expliquer à leurs enfants les différences qui existent entre chacun et les apparentes injustices, jusqu’à ce que ces frustrations soient comprises comme inévitables, puis acceptées comme telles. » Les parents ? Oui, le parent naturel et le conjoint, invité à prendre sa part d’autorité.