Tirages au sort de candidats non encartés qui devront rendre compte de chacune de leurs actions, plateformes de discussions pour rédiger des lois, réponses concrètes à des problèmes posés : dans un contexte de défiance vis-à-vis des élus traditionnels, les citoyen-ne-s s’organisent pour faire entendre directement leurs voix, et pour agir sans plus attendre. Sébastien Drouet
Le nouveau numéro d’Edith paraît en pleine effervescence politique : la présidentielle vient à peine de rendre son verdict que les 45 millions d’électeurs français sont invités à se rendre bientôt aux urnes pour les législatives (11 et 18 juin). Nouveau gouvernement, nouveaux députés… mais pour faire quoi ? L’impression que les élus ne peuvent pas grand-chose, malgré leur volonté, contre le chômage, le mal-logement ou l’insécurité, est patente. Au niveau national en tout cas. Sur un plan local, les maires ont encore la cote. « Je ne leur jette pas la pierre, nous avoue le membre d’un collectif orléanais. Ils ont tellement de choses à gérer qu’ils ne peuvent pas être partout. Les citoyens doivent prendre conscience qu’ils ne peuvent pas tout demander aux élus. » Aux habitants, donc, de prendre en main la vie de leur cité… et aux élus d’accepter l’entremise de personnes organisées et agissant pour le bien commun. Une tendance qui commence à s’imposer naturellement un peu partout.
Système à bout de souffle
Mais si on grimpe dans les échelons, ce n’est plus la même musique : dérives financières, détournements, scandales divers, incapacité des politiciens à juguler les grands maux de notre société jettent, depuis six ou sept ans, des milliers de manifestants sur les places publiques européennes, et même mondiales. Leur slogan ? « Indignez-vous ! », l’impérative invitation de Stéphane Hessel à ne pas se laisser faire. Le système actuel ? « Il ne s’agit pas d’un gouvernement du peuple par le peuple, mais bien d’un système composé d’élites jugées mieux à même d’exercer le pouvoir en lieu et place des citoyens », se désolent Elisa Lewis et Romain Slitine dans Le Coup d’État citoyen (éditions La Découverte, 149 p.). À l’ère de la transparence et du partage des informations, le vieux système craque. À partir de là, des modèles nouveaux apparaissent, fondés sur ce collaboratif qui bouleverse l’économie mondiale et dont Edith a souvent parlé : couchsurfing, covoiturage, coworking, crowdfunding, circuits courts, do it yourself… Point commun entre toutes ces pratiques ? Le rapport direct entre producteur et consommateur, sans autorité centrale. Le prolongement de tout cela dans la sphère politique, au sens noble du terme (« vie de la cité »), est somme toute naturel.
Mouvements pluriels
La « vague citoyenne » qui grossit de façon spectaculaire depuis six ou sept ans – après la crise financière mondiale et depuis l’explosion des réseaux sociaux – est internationale : Podemos en Espagne, Parti du réseau en Argentine, expériences islandaises et finlandaises, etc. À chacun ses combats, avec, pour tous, la participation directe des citoyens connectés – car Internet est leur arme : selon Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement, « sans Internet, il est impossible d’imaginer de tels mouvements ».
En France, les initiatives sont extrêmement diverses, qu’il s’agisse d’inventer une nouvelle forme de démocratie, d’enrichir celle existante, ou d’agir. « Nous citoyens » ou « Bleu Blanc Zèbre », d’Alexandre Jardin, avec ses « faizeux », se classent dans la troisième catégorie : ils cherchent à réunir des gens compétents pour trouver des solutions aux problèmes économiques et sociaux en dehors des grandes idéologies… et donc des partis politiques. Le « Rassemblement citoyen » de Corinne Lepage est à caser plutôt dans le deuxième groupe, puisqu’il s’agit d’une sorte de coopérative politique où élus et membres de la société civile ont un pouvoir équivalent. À Saillans, dans la Drôme, c’est une nouvelle forme de démocratie qui a été inventée : là-bas, une liste composée d’habitants, construite à coups de réunions et d’ateliers après une série de décisions arbitraires d’un pouvoir en place que l’on croyait inamovible, a remporté la dernière élection municipale. Transparence, collégialité du pouvoir, participation de tous à la gestion de la commune sont les maîtres mots de la nouvelle municipalité.
De différentes façons, les citoyens prennent le pouvoir… ou bien ils le partagent. Une grande partie des Français y sont prêts. Mais les politiciens de métier laisseront-ils faire ? Sauront-ils composer avec ces mouvements émergents, qui de plus fondent leur existence et leurs actions sur des outils qu’ils maîtrisent à la perfection (plateformes, réseaux sociaux…) ? L’avenir nous le dira… très rapidement.
Place aux femmes !
Avec leur foulard rouge à pois blancs, signe de reconnaissance, elles investissent les cafés d’Aubervilliers (93) un mardi sur deux, de 19 h à 21 h. Des places conquises de haute lutte, dans un climat (au départ, en 2011) délétère. Depuis, les choses se sont calmées, et « Place aux femmes » a même créé un label apposé sur les vitrines des cafés où elles sont bien accueillies. Aujourd’hui, le mouvement rassemble 160 femmes de tous âges et de toutes origines. Leur point commun : Leïla, Maguy, Oriane, Sophie, Louiza sont dynamiques et investies dans un engagement social. Pas de chef, pas de structure : les décisions se prennent ensemble, au café… où l’on débat entre client(e)s. Et ça marche, les membres du collectif se félicitant d’être entrés dans le paysage. Et d’avoir sans doute fait avancer les mentalités grâce à leur action, symbolique et pratique. (Source : 20minutes.fr)
placeauxfemmes.wordpress.com