Orléanaise, journaliste portraitiste pour Libé et la presse féminine, Caroline de Bodinat signe son plus long portrait. Celui d’un homme inspiré par l’itinéraire bis de son père, disparu en 1993, à Orléans. Elle fait de ce perdant magnifique un héros de papier dans Dernière Cartouche, un roman vrai.
Arrivée masquée. Elle s’assied, tombe le masque, prend ses distances, comme l’imposent les circonstances. Elle enroule ses longues jambes en tire-bouchon, « c’est une habitude je m’installe toujours comme ça, même quand j’écris ». Elle s’accroche aux accoudoirs et fixe la Loire, « je suis désolée, je ne peux pas m’empêcher de regarder. Qu’est-ce que c’est beau ! ». Caroline de Bodinat redécouvre sa ville, puis déroule l’histoire. Son roman vient de paraître dans le tsunami littéraire de septembre. Un mois pas toujours tendre pour les écrivains. Parmi les cinq-cent-onze parutions, certains livres seront encensés (souvent les mêmes), d’autres ignorés ou incompris des critiques littéraires du microcosme parisien. Elle dit qu’elle n’est pas écrivain ; pourtant, c’est son deuxième roman. D’ailleurs, elle n’a pas à rougir d’avoir décroché la Bleue, prestigieuse collection des éditions Stock. Le 3 février 1993, cette dernière cartouche à laquelle le titre du roman fait référence fut bien réelle.
Ça s’est passé à Orléans
Elle hésite, n’a rien de la fille que l’on croyait hautaine dans la cour du lycée. « En réalité, je suis myope et timide. Je suis plus dans l’ombre, c’est pour ça que j’écris des portraits. » Elle en a croqué des grands noms : Charlotte Gainsbourg, Isabelle Huppert, Vanessa Paradis, Iggy Pop, Stromae… La liste n’est pas exhaustive. Elle a aussi pigé pour l’Humanité, mais avec un pseudo. La particule est parfois source d’ostracisme. Pour ce roman, elle assume son nom, met un bémol sur certains principes de l’aristo-bourgeoisie, mais toujours avec une pointe d’humour : « À l’époque de mes parents, la particule l’emportait sur la partie tête. » Elle décrit l’envers du décor de la façade de l’avenue Dauphine.
L’hôtel de Blois, le Narval, Derouette l’épicier… Des noms qui nous sont familiers. Une bonne part du roman se déroule ici, entre des convenances parfois étriquées, et la fantaisie absolue de Paul des Tures, le personnage principal, qui refuse de rentrer dans une case. Mais voilà, il faut sauver les apparences : on va à la messe, aux soirées rallye, on ne divorce pas, on réussit professionnellement. Autant d’injonctions que le héros fait voler en éclats. « On le regardait de haut, il avait la sensation qu’on le prenait pour un con, il avait même baptisé son labrador chien de con ! » L’auteure joue avec certains souvenirs et taille ses personnages à la serpe. Le style est direct et laisse de la place à l’imaginaire du lecteur : « Ce sont des scènes qui, réunies, forment un grand puzzle. » Paul des Tures est inspiré par le père de l’auteure, « il est généreux, très séduisant, surprenant et parfois cela peut être décevant. C’est un adolescent ! » Il collectionne les échecs, vit en décalage et le répète avec une grande sincérité, « tout va s’arranger, ça ira mieux demain. » Plus tard, on découvre que finalement il aime aussi bien jouer à la belotte, qu’au bridge.
Un roman vrai ? « La vérité n’existe pas, toute œuvre est une confession qui subit une métamorphose, pour citer Pierre Jean Jouve », rétorque Caroline. Puis l’histoire bascule, c’est un secret de famille révélé, qui explique pourquoi l’auteure décide de faire ce long portrait ou plutôt pour qui ? « On me l’a demandé d’une certaine façon, une personne qui avait besoin de réponses pour se construire. Je pense les lui avoir données à travers ce livre. » Cette dernière cartouche s’adresse aux décalés, aux déclassés, à celles et ceux qui ne rentrent pas dans le rang.
Vingt-sept ans après, après la Une de la République du Centre, c’est son regard en noir et blanc qui se détache, sur la jaquette de la couverture bleu nuit des Éditions Stock. Un beau pied de nez, au-delà des apparences.
Marie-Zélie Cupillard