En Europe, les trois-quarts des salariés rêvent de quitter leur emploi pour embrasser une nouvelle voie, une nouvelle vie. Comme l’écrit Catherine Sandner*, “puisque rien n’est vraiment sûr, autant faire ce dont on a envie”. Mais est-ce si simple ?
C‘est à la suite d’un licenciement, assorti d’une forte indemnité, que cette petite famille a fait le grand saut. Son rêve ? Quitter la trépidante, mais usante, vie parisienne pour la campagne. Se retrousser les manches, tous ensemble, pour retaper une vieille bâtisse, avant de transformer quelques pièces de ce « palais » en chambres d’hôtes. Mais la frontière est mince entre le rêve et la désillusion : la maison finalement peu confortable, la campagne froide et humide, les amis trop loin… et les réservations pour les chambres d’hôtes trop irrégulières pour dégager un bénéfice. Pour n’avoir pas suffisamment préparé sa nouvelle vie, ni anticipé les problèmes, ni même visité au préalable la nouvelle région, la petite famille a dû plier bagage et retrouver cette existence d’avant dont elle s’était pourtant lassée. Alors, changer de vie, oui, mais à condition de savoir où l’on va, de faire le deuil de ce que l’on perd… et d’aimer le risque. Car sans aucun doute, c’en est un.
Changer de vie, qu’est-ce que cela signifie ?
Si certaines personnes (rares) parviennent à quitter volontairement amis, famille, carrière et pays pour tout recommencer ailleurs, le changement de vie « est rarement une brusque métamorphose faisant passer d’un état à un autre », selon le sociologue Marc-Henry Soulet. C’est plutôt une adaptation aux méandres de la vie, aux circonstances, une sorte de deuxième chance pour ne pas reproduire les erreurs commises dans la première. « Changer sa vie est à entendre comme un travail, écrit le spécialiste**. Il s’agit d’une relecture de l’expérience biographique, sans renoncement au passé, pour la rendre compatible avec une nouvelle image de soi. » Changer de vie ? « C’est la recherche de l’épanouissement, de la réalisation personnelle, dans une société où tout se dissout », selon Héloïse Lhérété***. À l’heure du tout connecté, qui a modifié notre façon de vivre – toujours plus et plus vite ! –, c’est la concrétisation d’un vieux rêve plus ou moins enfoui, celui de devenir son propre patron, de voyager, de créer, d’agir au lieu de subir, qui ressurgit à la faveur d’un événement, rupture, divorce, licenciement, accident parfois, ou deuil… « La crise ouvre un espace de liberté », assure H. Lhérété. Aux postulants de s’engouffrer dans la brèche !
Nouvelle vie : mode d’emploi
S’il convient avant tout, comme le montre Luce Janin-Devillars****, de distinguer l’envie de changer, acte volontaire et positif, du besoin de fuir face à une situation invivable (harcèlement professionnel par exemple), il n’y a pas de recette miracle, ni de voie toute tracée à suivre pour les candidats au changement. C’est une réflexion personnelle (ou en couple, parfois), et dès lors, la personne qui souhaite franchir le pas doit réaliser un intense travail de réflexion sur elle-même, pour parvenir à sa propre identité, en se défaisant des fardeaux que représentent l’éducation et une vie fantasmée par les parents. En fait, une fois le projet clairement défini, le travail le plus important, le plus long aussi, et le plus ardu, est de lever les obstacles, les uns après les autres, tous ces freins qui souvent sont autant de bonnes raisons de ne pas faire le grand saut : manque d’argent, crédits en cours, manque de temps, absence du diplôme requis, obligations familiales, et d’autres plus enfouis, comme le vécu, les modèles, cette poursuite, malgré soi, d’une route qui n’est pas la sienne parce que d’autres l’ont voulu ainsi… Mais il importe avant tout de se connaître par cœur. « Pour se distinguer, forger son propre destin au prix d’un vrai changement, poursuit L. Janin-Devillars, il est indispensable de savoir qui l’on est et d’où l’on vient afin de repérer les facteurs d’échec comme de réussite. » Pour être prêt, aussi, à rebondir en cas de pépin…
* Changer de vie (du break à la reconversion), Hachette pratique
** « Changer sa vie, une question sociologique », scienceshumaines.com, article du 8/07/2011
*** « Tout plaquer, une aventure à haut risque », scienceshumaines.com, 11/06/2012
**** Changer sa vie. Il n’est jamais trop tard, Michel Lafon
À lire
Comment réussir à changer de vie, Marlies Gaillard, Anne Leguy, L’Express éditions 50 hommes et femmes qui, à un moment donné, ont changé de parcours, ont été interrogés par deux journalistes qui, de plus, livrent le point de vue d’une trentaine d’experts. Indispensable quand on cherche des idées… et des modèles.
Le courage de changer sa vie, Anne Ducrocq, Albin Michel Pourquoi partir ? Pourquoi quitter un métier, un pays, pour une autre voie, pour autre chose ? Elle-même éprise de spiritualité, Anne Ducrocq envisage le changement de vie plutôt sur le plan du cheminement personnel, intellectuel.
Changer de vie (du break à la reconversion), Catherine Sandner, Hachette pratique Nous sommes là dans le concret : changer oui, mais pour aller où, pour faire quoi ? Avec quels atouts ? Une fois cette question réglée, vous retrouverez dans cet ouvrage toutes les dispositions mises en place officiellement pour changer de voie professionnelle.
Tout recommencer
Il est des situations où le changement de vie s’impose de lui-même, comme le montre l’afflux des réfugiés syriens et irakiens en Europe. Obligés de quitter leur pays pour sauver leur peau, au prix fort – celui fixé par les passeurs –, les voilà, anciens citoyens de la classe moyenne, profs, techniciens, formés et compétents, en route, avec ou sans leur famille, pour un ailleurs plus ou moins accueillant. Une nouvelle vie à marche forcée…
«Il n’y a pas d’âge idéal pour changer de vie »
Luce Janin-Devillars Psychologue, psychanalyste et directrice de l’école de coaching à l’Institut Français de Gestion de Paris.
Le changement de vie est-il un phénomène récent ?
Quand la première édition de mon livre Changer sa vie est sortie, en 2001, la question du changement, de tous les changements, se posait déjà de façon forte. À ce moment là, les divorces, les remariages, les recompositions familiales étaient déjà à l’ordre du jour car le mariage ou le couple n’étaient déjà plus fondés sur une notion d’association, de mise en commun des biens et des valeurs, mais sur la prévalence de l’amour. En ce qui concerne la vie professionnelle, la précarité était déjà dans l’air du temps. D’où la nécessité de penser une reconversion, de nouvelles études, une nouvelle formation. Qu’il s’agisse du couple, de la famille ou du travail, l’idée de pérennité s’était affaiblie au profit du renouvellement. Avec l’effondrement des « grands cadres » tels que l’école, la famille, le sentiment religieux, l’individu était donc confronté à la nécessité de s’inventer lui-même, de devenir son propre démiurge. La donne n’a pas changé aujourd’hui. Elle s’est au contraire accentuée, avec la crise quant au travail, et avec de nouveaux paradigmes quant au couple, à la sexualité : procréations médicalement assistées, mères porteuses, mariage gay, nouvelles façons de vivre en couple… Dans le domaine de l’emploi, la précarité, l’incertitude, l’augmentation du chômage, la quasi-certitude de ne plus être bankable pour les séniors font du changement, en ce domaine, une sorte d’évidence. Du coup, mes patients, les personnes que j’accompagne en coaching, envisagent assez facilement de lâcher une activité, de se lancer dans une reconversion, de monter leur propre boîte. Les plus jeunes, disons la génération Y, et maintenant Z, souvent plus diplômés que leurs parents, ne mettent plus tous leurs espoirs dans une entreprise, un métier appris, une filière. S’ils ne sont pas satisfaits de leur entreprise, ils vont voir ailleurs. Ils s’expatrient. La fidélité à l’entreprise, au métier, est devenue caduque.
Quelles sont les différentes façons de « changer de vie » ?
Prendre du recul par rapport à son activité professionnelle. Ne plus mettre tous ses œufs dans le même panier en ne se consacrant pas presque exclusivement à son travail. Se donner plus de loisirs, de temps pour soi. Avoir deux métiers, par nécessité économique mais pas seulement. Faire autre chose qui corresponde mieux à nos désirs profonds, penser que cela deviendra peut-être notre activité principale un jour. Écouter le désir, sentimental ou professionnel avec son lot naturel de déceptions. Dans le champ amoureux, intégrer la notion d’expérience. Une relation amoureuse, quand elle commence, est encore vécue comme un engagement durable (les individus continuent à fantasmer là-dessus) mais, en même temps, la possibilité de reconstruire ailleurs, à un autre moment de sa vie, demeure souvent sous-jacente à l’engagement.
Quels sont les profils des candidats au changement de vie ?
Dans tous les cas, les « bons » candidats au changement sont les personnes capables de se remettre en cause, qui ont suffisamment de charisme pour convaincre leur entourage et les entraîner avec eux. Je ne peux pas dire qu’il y ait un âge idéal. Les plus jeunes peuvent tâtonner longtemps avant de se lancer (plusieurs filières d’études, plusieurs métiers, le syndrome Tanguy dans le fi lm d’Etienne Chatiliez), les séniors profiter d’un licenciement, de la retraite pour s’engager dans autre chose, y compris divorcer à 60 ans et plus avec l’idée de « se retrouver » enfin.
Du Laos à la France // Thi-Chitchay à Gabrielle
« Mes cinq frères et sœurs, mes parents et moi avons changé de vie en même temps que nous changions de pays. C’était en juin 1984. Du Laos où nous vivions dans un camp de réfugiés à la France, grâce à l’association olivetaine, aujourd’hui disparue, « Les enfants du Mékong ». Certains membres de notre famille sont partis aux Etats-Unis, d’autres en Allemagne, notre fratrie est arrivée en France par pur hasard. Aucun d’entre nous ne parlait la langue et cela a été beaucoup plus compliqué à surmonter pour les parents que pour nous. C’est étrange comme l’histoire se répète aujourd’hui, avec ces migrants qui eux aussi fuient la guerre. Je comprendrais qu’on leur fasse une place comme on nous en a fait une à nous, à l’époque. Aujourd’hui, on m’appelle Gabrielle, j’ai 33 ans, je travaille comme comptable dans une entreprise de bâtiment, la famille s’est métissée, mes parents ont déjà 11 petits-enfants et le 12e est en route ! »
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“Devenir maman, ça change la vie, c’est souvent une décision, mais accueillir des jumeaux comme Virginie en 2013 alors qu’elle avait déjà une petite fille, ce fût un véritable changement de vie inattendu : «À l’annonce de ma grossesse gémellaire: vent de panique! Comment ça marche? À la suite de quoi j’ai pris conscience des potentielles difficultés auxquelles j’allais devoir faire face. J’ai donc décidé de me rapprocher de l’association Jumeaux et Plus 45pour avoir de l’aide et des conseils de personnes avisées! J’ai rencontré des gens formidables, qui m’ont donné de bonnes astuces pour l’alimentation, le sommeil, les sorties avec les bébés, mais il me manquait l’essentiel: créer une harmonie dans cette nouvelle famille.
Alors j’ai lu, lu et relu… Enfin j’ai découvert l’atelier des parents à Paris, et là j’ai trouvé de quoi nourrir mes besoins. Aujourd’hui, j’ai créé mon entreprise, sos-parent.fr pour transmettre mes nouvelles compétences et connaissances acquises, et par le biais des réseaux sociaux et du blog, regrouper et partager toutes les informations pertinentes en rapport avec les nouvelles méthodes d’éducation.»