Ce n’est pas sa faute si Claire Berget a toujours été une excellente élève ! Dans ces cas-là, difficile d’échapper à un destin tout tracé. À moins que le rêve d’enfant, trop puissant, trop présent, ne finisse par S’IMPOSER…
Sébastien Drouet
Dans sa première vie, Claire Berget, 34 ans, a enseigné la grammaire anglaise. Non, ne partez pas ! Bien menés, les cours peuvent se révéler passionnants. C’est en tout cas ce que nous assure l’ancienne prof de fac, arrivée aux Tanneurs au terme d’un parcours sans fausse note (ce qui tombe bien pour l’épouse du claveciniste Pierre Gallon) : après Hypokhâgne et Khâgne à Strasbourg, « petite prépa de province où il y a moins de pression qu’à Paris », la jeune fille issue d’une famille de scientifiques et d’ingénieurs, intègre l’École normale supérieure de Lyon en 2003. Le rendez-vous initial avec le directeur est resté dans sa mémoire : « Il m’a demandé ce que je voulais faire, je lui ai répondu : de la lutherie. C’était mon rêve d’enfant. J’ai appris seule à jouer du piano et de la guitare, et j’avais cet intérêt pour la fabrication d’instruments. Ils ont une beauté singulière, une esthétique incroyable. » Mais Normale sup, école d’élite, ne forme pas exactement à cet art. Qu’importe, Claire suivra des cours en parallèle : cours de viole de gambe, et cours de lutherie, stages… sans échapper à la voie qu’elle emprunte presque malgré elle, comme poussée par une force invisible. Elle décroche l’agrégation en 2005, à 22 ans, part en Angleterre, fréquente Oxford, défend une thèse. Son titre ? « La représentation de la viole de gambe dans l’imaginaire anglais aux XVIIe et XVIIIe siècles » !
Entourée de belles choses
Claire s’installe à Tours en 2009 pour enseigner en fac d’anglais. Personne à l’époque ne soupçonne son intérêt pour la lutherie. Plus qu’un intérêt, même, puisqu’elle est – en même temps que prof – archetière baroque. Une « niche », comme on dit de nos jours : ils ne sont que dix en France à exercer dans ce domaine. Le basculement total dans ce métier va se faire peu à peu : « Je suis allée au bout de mon engagement décennal, avec beaucoup de plaisir, dont celui d’enseigner. Mais il est arrivé un moment où, pendant que je corrigeais les copies, je pensais aux archets, et pendant que je fabriquais des archets, je pensais aux cours. » Il a donc fallu choisir, sans regrets. « J’ai été très contente dans mon métier d’avant, je suis très contente dans celui d’aujourd’hui. Je croise des étudiants parfois. » Et, histoire de combiner les deux, il lui arrive d’enseigner sa spécialité, lors de stages organisés dans le Jura, dans une scierie qui produit du bois de lutherie.
À Tours, Claire travaille chez elle, au deuxième étage de la maison. Dans son atelier, avec France Culture en fond sonore, elle découpe, tourne, taille, lime, donne forme à cette partie fondamentale du violon, du violoncelle, de la viole de gambe qu’est l’archet : « Mes clients sont des musiciens amateurs ou professionnels, originaires de partout. J’ai vendu des archets aux États-Unis, au Japon… » Les mois ne sont certes pas toujours faciles, si l’on compare au fonctionnariat d’antan, mais Claire savoure son luxe : celui d’être entourée de belles choses, dans sa bulle, avec ses quelques outils, ses matières premières… « On travaille avec quasiment rien, un peu de matériel, du bois, des crins de cheval, mais il faut que ce soit parfait. On ne peut pas tricher. » Ce que Claire, en embrassant cette nouvelle carrière, n’a pas fait non plus avec elle-même…
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