Lu dans la presse : « Si les femmes veulent faire évoluer le monde, elles doivent accepter les règles créées par des hommes pour des hommes, jusqu’à s’immiscer au cœur du pouvoir et transformer la société… » Facile à dire ! « Les mentalités ne peuvent changer en période de crise », assène de son côté Élisabeth Badinter. Il va donc falloir patienter avant de voir des présidences, quelles qu’elles soient, échoir aux femmes. Mais au fond, celles-ci veulent-elles réellement le pouvoir ? Sébastien Drouet
Le plafond de verre est craquelé de 18 millions d’éclats ! » avait dit Hillary Clinton en 2008. 18 millions, c’est le nombre de voix qu’elle avait obtenu lors des primaires démocrates cette année-là, mais qui s’était révélé insuffisant pour l’emporter face à Barack Obama. En novembre dernier, le coup est passé encore plus près, puisqu’elle a même fini devant Donald Trump en termes de suffrages exprimés… ce qui ne suffit pas outre-Atlantique. Si elle avait gagné l’élection, Hillary Clinton aurait été la première femme présidente de la première puissance mondiale. La prochaine fois sera peut-être la bonne ? Il n’en demeure pas moins que les femmes puissantes ne sont pas des exceptions dans l’histoire mondiale, et ce depuis toujours : on pourrait citer Cléopâtre, Boudicca (une reine celte), Elizabeth Ire, Marie-Thérèse d’Autriche, Catherine de Russie, Victoria, jusqu’à Margaret Thatcher, Angela Merkel, Theresa May… ou même Hillary Clinton qui a dirigé le Département d’État américain pendant quatre ans. Pour un peu, parmi les grandes puissances mondiales, c’est la France qui ferait presque figure d’exception (1) ! La France où, dans le domaine politique, malgré la loi sur la parité, il y a encore assez peu de femmes aux postes « qui comptent » (une seule candidate aux primaires dans chacun des deux grands partis), et, dans le milieu économique, deux femmes seulement à la tête d’une entreprise du CAC 40.
Excellents résultats
Pourtant, dans tous les domaines, les femmes ont (évidemment) fait leurs preuves. « Il y a un grand progrès, remarque Élisabeth Badinter (2) : les femmes ne sont pas contestées dans leurs compétences. Elles ont fait la démonstration qu’elles pouvaient être aussi bonnes (ou mauvaises) que les hommes. » Peut-être même meilleures… C’est ce qui ressort de l’enquête « Féminisation et performances économiques des entreprises », conduite par le Ceram Business School sur les entreprises du CAC 40 entre 2002 et 2006 : plus les femmes sont présentes dans les équipes dirigeantes (à défaut d’être au sommet de la hiérarchie), meilleurs sont les résultats. Lorsque le taux d’encadrement dépasse 35 %, la rentabilité de l’entreprise augmente de 96 %, sa productivité de 34 %, les emplois générés de 157 % !
Alors, qu’est-ce qui bloque ? Beaucoup de choses, à vrai dire. Même si l’évolution est sensible, les freins sont nombreux. La législation a beau y faire, « les lois ne suffisent pas à faire changer les mentalités, regrette Élisabeth Badinter. Pour les changer, il ne faut pas être en période de crise, de chômage ».
La politique, c’est la guerre
« Les femmes sont confrontées à la gestion parfois conflictuelle de leurs rôles d’épouse et de mère, et le pouvoir absolu, poursuit la philosophe. Les femmes qui ont de l’ambition sont confrontées à cela. La politique est une activité guerrière, il faut imposer sa loi à d’autres. Aujourd’hui, les femmes politiques qui arrivent au sommet de l’État ont adopté un style neutre, elles n’exploitent pas l’émotion. Celles qui utilisent la féminité ne parviennent pas aux plus hauts postes. » De fait, on se gardera d’accuser Margaret Thatcher, Angela Merkel ou Theresa May de montrer une féminité exacerbée. Parlons cash : ce n’était ou ce n’est pas leur préoccupation. Pour elles, la question du compagnon est réglée. Pendant la campagne américaine, Hillary Clinton a bien tenté de jouer sur l’émotion en se préoccupant, avec cœur, des enfants d’immigrés mexicains. Mal lui en a pris sur un plan électoral. En revanche, tout le monde a trouvé magnifiques les larmes versées, à plusieurs occasions, par le président Obama…
Nous rappellerons un cas exceptionnel, celui de Marie-Thérèse d’Autriche qui ne craignait pas de faire jouer les sentiments dans ses prises de décision à la tête de l’empire. Une souveraine qui a donné naissance à 16 enfants, dont un sur un champ de bataille ! Et dont une fille sera reine de France sous le nom de Marie-Antoinette…
Une question d’éducation
Nous l’avons souvent dit dans Edith, et nous le répétons dans le cadre de ce sujet plus spécifiquement consacré à la notion de « pouvoir », le plafond de verre est dans les têtes ; les femmes ont peur de ne pas y arriver. Le poids de l’éducation y est pour beaucoup : enfants, les garçons jouent à des jeux où il faut gagner. Les filles recherchent d’autres amusements et cherchent à nouer des amitiés. Plus tard, bien que leurs compétences ne puissent être mises en doute, elles se heurtent à des rythmes infernaux dans l’entreprise, culpabilisent quand il faut aller chercher les enfants à 17 h 30, alors qu’elles n’ont avalé qu’un misérable sandwich sur le pouce à midi pendant que ces messieurs passaient deux heures au restaurant… Sans parler de la maternité, et même de la ménopause. Selon la psychiatre Fatma Bouvet de La Maisonneuve, « qu’on le veuille ou non, les femmes ont des spécificités qui ne devraient pas remettre en cause le principe d’égalité, mais conduire à des aménagements » (3). Alors, de là à devenir de vrais généraux à la tête d’une armée (dans le monde de l’entreprise s’entend)…
Aspects négatifs du pouvoir
Au-delà des difficultés pour parvenir au sommet de la hiérarchie, n’est-ce pas le pouvoir en tant que tel qui pose problème ? Viviane de Beaufort, professeur et co-directrice du Centre européen du Droit et de l’Économie, lève le tabou : « Les femmes ont-elles une approche, un ressenti du pouvoir qui se distingue de leurs homologues masculins ? » (4) s’interroge-t-elle avant de remarquer que le mot « pouvoir » est chargé de significations ; la lutte pour le pouvoir est perçue comme quelque chose de masculin, et les femmes abordent cette conquête avec difficulté. Elles associent le pouvoir à des termes négatifs : intrigues, autoritarisme, isolement, autant de choses qui leur font peur, alors qu’elles ne veulent pas écraser les autres, mais juste « faire quelque chose d’intéressant dans leur vie ». Selon Viviane de Beaufort, il est nécessaire de construire un leadership qui associe des qualités « masculines » (charme, impartialité, capacité de décision, prise de risques) et des qualités « féminines » (sens du concret, empathie, écoute, sens du collectif). Ce modèle, particulièrement adapté à la mondialisation, est justement celui qui est en train d’émerger…
(1) À la différence notable de Christine Lagarde, actuelle directrice générale d’une institution mondiale, le Fonds monétaire international (FMI)
(2) France Culture, 7/11/2016
(3) Psychologies.com, article intitulé « Les femmes et le pouvoir : une relation ambiguë »
(4) Huffington Post, 19/09/2013