Il est difficile d’évoquer Catherine sans parler d’Hélène : liées à jamais à la mémoire de Jean Zay, leur père, les deux sœurs ont fait de leur vie un devoir de mémoire. Chacune à sa façon.
La même enfance ? Catherine est née en 1936 dans l’enthousiasme du Front populaire, et a vécu les belles années de Jean Zay. Celles où le ministre de l’Éducation nationale était honoré, respecté, reçu, reconnu… En plus d’avoir fondé le CNRS, l’ENA, le musée de l’Homme, le Festival de Cannes et le musée d’Art moderne, Jean Zay aura effectivement modernisé en profondeur le système scolaire : « Notre mère nous racontait leur bonheur et les belles années au ministère… »
Hélène est née pendant la guerre, au Maroc, alors que son père était captif et considéré comme un déserteur par le régime de Vichy. Catherine raconte : « Personne ne voulait accoucher ma mère, qui était considérée comme la femme du déserteur. » Souffrant en silence, cette dernière protégeait ses filles : « On n’allait pas en prison, on allait voir papa », expliquent-elles. Même si elle n’en a pas de souvenir, Hélène a réalisé qu’elle avait passé les premières années de sa vie en cellule, auprès de son père, lors de leurs visites au pénitencier de Riom.
« Ce qui importait à notre mère était notre éducation. Il y avait bien sûr des non-dits, et elle a dû se démener financièrement. Quand notre père a disparu, elle l’a cherché dans chacune des fermes des alentours, en vain… » Les petites filles n’avaient pas l’âge de comprendre la situation. Hélène a longtemps pensé que son père allait revenir, mais elle cessa vite de questionner sa mère, sentant sa souffrance. Chacune se protégeait à sa manière… Catherine n’avait que 8 ans quand elle apprit par la radio que Jean Zay avait été assassiné, alors qu’il n’avait pas quarante ans. « Je me souviens parfaitement de l’endroit dans lequel je me trouvais dans la maison quand la radio l’a annoncé. Mais je ne pouvais pas l’admettre. »
Au nom du père
Les quatre ans qui les séparent donnent à Catherine et Hélène des souvenirs distincts. Si les événements ont imposé à leurs vies respectives une même dynamique, elles portent la mémoire de Jean Zay chacune à sa façon. « Notre sommes très proches depuis l’enfance, mais nous avons des personnalités différentes », précise Catherine.
Pour Hélène, la vie a été traversée par des exigences qui se sont imposées. « Cette mémoire est toujours vive, c’est une référence plus ou moins explicite. »
C’est en 1964, rue Notre-Dame-de-Recouvrance, que Catherine a ouvert sa librairie Les Temps Modernes. Sa vie fut alors rythmée par des signatures, des expositions et des débats. Un lieu vivant qui a privilégié les rencontres ; et qui est aujourd’hui repris, par Sophie, sa fille. Catherine tient d’ailleurs entre ses mains le livre témoignage de son père (Souvenirs et Solitude, aux éditions Belin), qu’elle a annoté au moment de sa réédition.
De son côté, Hélène enseigna les lettres. Une voie qui n’est pas un hasard… À son initiative, le CERCIL (Centre d’Études et de Recherche sur les Camps d’Internement dans le Loiret) a vu le jour en 1991, il y a vingt ans déjà. « C’est un engagement presque naturel. J’ai eu connaissance de l’existence des camps du Loiret tardivement : rien n’était enseigné sur les responsabilités écrasantes de Vichy. » 2011 aura été marqué par l’inauguration d’un musée-mémorial des Enfants du Vel d’Hiv’ le 27 janvier dernier. Il se déploie sur 1 000 m2, dont 500 m2 ouverts au public.
CERCIL 45 rue du Bourdon-Blanc Orléans – Tél. 02 38 42 03 91