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« ÊTRE RICHE, CE N’EST PAS SEULEMENT détenir beaucoup d’argent »

Jeanne Lazarus, sociologue, est chargée de recherches au CNRS, et membre du Centre de sociologie des organisations (Sciences-po). Elle a publié plusieurs ouvrages dont L’épreuve de l’argent, aux éditions Calmann-Lévy.

Y a-t-il une définition scientifique  de la richesse ?
Il existe des seuils de pauvreté – plusieurs d’ailleurs, car les critères varient d’un pays à l’autre et selon les méthodes d’évaluation –, mais aucun seuil de richesse ne fait consensus. On pourrait penser aux seuils pour les tranches d’imposition : en France, 151 956 € de revenus pour être dans la tranche la plus haute ; 1,3 million € de patrimoine pour être redevable de l’ISF. Toutefois, la richesse est très largement relative : le riche peut être son voisin qui gagne quelques centaines d’euros de plus que soi, ou a une plus grosse voiture, mais c’est aussi le capitaine d’industrie qui possède des milliards. En outre, être riche, ce n’est pas seulement détenir beaucoup d’argent, c’est aussi avoir un réseau puissant, être célèbre parfois, disposer de multiples ressources que n’a pas le commun des mortels. C’est pour cela par exemple que les « nouveaux riches » sont regardés de haut par ceux qui possèdent le « vieil argent », car le nouveau riche n’a que son argent pour justifier sa position sociale, alors que les vieilles familles fortunées peuvent faire valoir prestige et réputation.

« L’argent ne fait pas le bonheur », selon le dicton… Mais ne rend-il pas libre ? 
Sans aucun doute, l’argent est source de liberté. Les sociologues l’ont vu depuis la fi n du XIXe siècle. Posséder de l’argent permet de s’affranchir de nombreuses contraintes sociales, mais surtout, être riche change la nature de l’argent que l’on possède : lorsque l’on a peu d’argent, on choisit peu ce que l’on fait avec lui, on essaie de faire en sorte de subvenir à ses besoins le moins mal possible. En revanche, lorsque l’on en possède beaucoup, il est possible de faire des choix, de consommation, de modes de vie. Par exemple, quitter le foyer parental pour des jeunes peut être empêché lorsqu’ils n’ont pas suffisamment d’argent, avant qu’ils n’aient un travail suffisamment rémunérateur, tandis que pour des familles aisées, les enfants peuvent vivre ailleurs quand ils sont étudiants, les parents étant en mesure de financer leurs choix.

A-t-on mesuré le minimum de ressources à avoir pour être heureux, ou du moins pour s’assurer une certaine qualité de vie ? 
Il est très difficile de répondre à cette question car le revenu n’est pas la seule ressource disponible. Lorsque le RMI a été instauré, il était justement destiné à couvrir le minimum vital. Aujourd’hui, le RSA est de 524 € : il est très difficile de vivre avec. Pour autant, les ressources dont disposent les ménages ne sont pas seulement monétaires : bien sûr, les aides familiales, l’entraide, sont des ressources essentielles, mais par ailleurs, la redistribution est organisée en France de multiples façons, qui ne se limitent pas à des transferts monétaires (par exemple l’accès à des HLM, la couverture des besoins de santé, d’éducation, etc). Toutefois, la diminution de l’État-providence depuis une trentaine d’années conduit à ce que les inégalités monétaires aient de plus en plus d’effets sur les modes de vie, en contradiction avec l’idéal méritocratique français qui voudrait que les inégalités sociales ne soient dues qu’au mérite personnel, en particulier scolaire, et non à l’héritage familial.

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