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Faire son deuil : La vie continue…

Souvent considéré, à tort, comme le fait d’oublier la personne disparue, le travail de deuil est au contraire un long processus qui vise à tisser un lien différent, forcément différent, avec l’être cher qui n’est plus. Une nécessité pour se relever, sourire à nouveau, faire des projets, continuer à vivre… Sébastien Drouet

 

Il y a un an se tenaient au Palais du Luxembourg les premières Assises du funéraire avec pour thème : « Mieux accompagner le deuil : un enjeu majeur de la société française. » On y apprenait notamment qu’un Français sur quatre, une personne sur deux chez les 45-54 ans, se sentait en deuil d’un être cher(1). Mais qu’est-ce que le deuil signifie, au juste ? « Il s’agit d’abord de la perte d’un proche, répond la psychologue Marie-Frédérique Bacqué. Il désigne ensuite un état affectif consécutif à la perte. Enfin, le deuil désigne la reconnaissance sociale collective, le témoignage de la disparition. » Par exemple, le 13 novembre 2018, la France ressentira à nouveau le deuil des victimes des attentats des Terrasses et du Bataclan.

Le travail de deuil, lui, souffre d’un malentendu bien marqué. Contrairement à ce que l’on entend souvent, il ne consiste pas à oublier la personne disparue. « C’est exactement le contraire, indique Marie-Frédérique Bacqué. Il s’agit progressivement de se rappeler de tout ce qu’on a partagé avec le défunt, mais aussi, plus abstraitement, de tout ce que l’on attendait, imaginait, rêvait avec lui (ces sentiments peuvent être éprouvés pour un enfant qui n’est pas encore né). Tous ces souvenirs sont alors confrontés avec la réalité : il n’est plus. » Cette sanction de la réalité, très douloureuse, permet cependant de rétablir une autre forme de lien affectif avec le défunt. Cette nouvelle relation, qui provient clairement de la personne en deuil, est faite d’apaisement, de sentiments nouveaux qui reconstruisent une histoire unique, celle de la relation passée et de ce qu’elle apporte aujourd’hui.

Le tabou de la mort

Mais avant de parvenir à faire des nouveaux projets, le processus aura été long. La perte d’un être cher ne se guérit pas en quelques jours, en prenant une semaine de congé comme pour soigner une grippe. « Il faut prendre le temps de vivre sa peine et son chagrin, d’exprimer ses émotions, de lâcher la maîtrise de soi », écrit Flavia Mazelin Salvi(2). Une lente évolution : « C’est passer d’une relation objective au quotidien, à une relation subjective, par-delà la mort, selon le psychothérapeute Christophe Fauré(3). Le deuil invite à intégrer en soi la personne disparue sans culpabilité ni impression de trahison. »

En fait, tout le monde aimerait que les souffrances de la personne endeuillée s’arrêtent au plus vite. Pour elle, pour les autres aussi, gênés d’être confrontés au tabou ultime : la mort. « La mort fait peur, l’histoire d’une personne en deuil rappelle aux autres leur propre finalité, écrit Line Asselin(4). D’où le malaise à son approche, le fait de ne pas savoir quoi dire, les maladresses, la fuite… »

Le travail de deuil ne se fait pourtant pas seul ; au cours de ce périple, il est nécessaire de parler, d’exprimer, de sortir des choses. Pas un voyage en solitaire, donc, mais un voyage intérieur tout de même. Personne, à moins d’avoir été confronté à la même situation, ne peut comprendre le chaos physique (fatigue, nausées, affaiblissement du système immunitaire, perte ou gain de poids, douleurs…) et moral (dépression, tristesse, insomnies…) qui suit immédiatement le décès, ne peut bien interpréter tous les signes qui apparaissent à chaque étape
sur le chemin que la personne
endeuillée emprunte.

Une succession d’étapes

Sont-elles quatre ? Ou cinq, comme les énumérait Elisabeth Kübler-Ross il y a quelques années (elle avoue que son modèle est désormais dépassé), ou neuf ? Ou moins, ou davantage ? Cela dépend des chercheurs. L’Association canadienne pour la Santé mentale en distingue trois. Trois étapes pour faire le deuil, donc : l’état de choc (la torpeur) ; la désorganisation ; la réorganisation. Christophe Fauré en ajoute une, la phase de fuite et de recherche.

Quel que soit leur nombre (peu importe en vérité), tout commence, après l’annonce de la triste nouvelle, par un choc, une sidération qui peut cependant être traversée d’un courant de sang-froid suffisant pour organiser des obsèques par exemple. Comme si la personne endeuillée fonctionnait en mode automatique. La durée ? Pour chaque étape, elle varie selon les individus. Impossible de la déterminer à grands traits, mais nous parlons à partir de là, après le choc (accompagné de déni d’une réalité brutale, trop difficile à accepter), de semaines, de mois, voire d’années. C’est le temps que peuvent prendre la 2e phase, dite de fuite, au cours de laquelle on cherche à oublier – tentative vaine – puis la 3e, la phase de recherche, pour maintenir le lien en s’enferrant dans le passé – inutile, là encore. Cette période-là est aussi celle où s’expriment de la culpabilité, de la colère, un sentiment d’injustice, la recherche d’un coupable face à cette intolérable absence…

Suit la phase de déstructuration, quand on comprend que l’autre ne reviendra pas, avant celle de restructuration, de reconstruction, quand la relation au monde se fait plus paisible, que le lien avec la personne disparue est renoué, mais d’une autre manière. Et que l’on peut de nouveau avancer, parler au futur.

Un long parcours, fait de hauts et de bas, de va-et-vient, d’allers et de retours. Tout le monde ne vit pas forcément ces étapes dans cet ordre, et comme nous l’avons dit, leur durée varie d’un individu à l’autre. Mais, dans l’idéal, elles sont nécessaires pour tourner la page.

Mots à maux

Pour les supporter au mieux, Line Asselin conseille de « rencontrer le chagrin », de le revisiter de l’intérieur pour le transformer. Nous sommes là aux antipodes de l’oubli puisqu’il s’agit d’affronter l’absence en toute lucidité. Pour y parvenir, elle invite à « raconter son histoire », pour mettre des mots sur ce qui a été vécu, ouvrir la porte sur l’intérieur, évacuer finalement le trop-plein d’émotions. Raconter de vive voix à une personne qui a l’oreille attentive – proche bien sûr, ou médecin, ou membre d’une association – ou mieux, par écrit, dans le but d’être lu. C’est là que réside l’intérêt d’un site web comme « Paradis blanc » (lire l’encadré). Vivre au mieux son processus de deuil passe aussi, pour certaines personnes, par se recueillir au cimetière, garder des objets, aller en pèlerinage. Tout est bon, du moment que les émotions s’expriment au grand jour. « Le travail de deuil est abouti quand la personne est libérée de son sentiment de culpabilité, qu’elle a accepté le décès, et qu’elle s’investit dans d’autres relations, d’autres projets », affirme la psychologue Alexandra Milazzo(5). Reste le manque. Le plus beau des cadeaux qu’offre la personne partie trop tôt… 

1. Étude menée en 2016 par la Chambre syndicale nationale des arts funéraires (CSNAF) et le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc)

2. « Accepter le temps du deuil », sur psychologies.com

3. Chronique du 31/10/2014 sur lexpress.fr

4. Faire son deuil, Eyrolles

5. Dans son blog en ligne sur huffingtonpost.fr

 

 

 

Une précision

Beaucoup de chercheurs ont théorisé les étapes du deuil – nous avons lu quelques travaux sur ce sujet pour préparer l’article – et les ont couchées sur le papier, les figeant comme des lois naturelles, alors qu’il s’agit d’un processus extrêmement personnel, qu’aucun individu ne vivra exactement comme un autre. Seules les grandes lignes sont communes (et encore, pas toutes) ; ces étapes sont avant tout des repères, qui permettent de comprendre ce qui assaille la personne endeuillée. Le tout ne forme donc pas un guide à suivre, ou à faire suivre, palier après palier.

 

« Paradis blanc »

Sa fondatrice, Anne-Sophie Tricart, a voulu mettre en ligne un site entièrement dédié au deuil, sans pub. C’est un cocon pour les familles qui peuvent s’y exprimer librement, échanger. Les proches de la personne disparue peuvent écrire des choses qu’ils n’arrivent pas à dire, sachant que des modérateurs sont à l’œuvre pour que tout se fasse dans le plus grand respect. Après inscription, chacun crée un espace de mémoire consacré à l’être cher, avec partage de souvenirs, photos, vidéos, tout ce qui peut rappeler de bons moments.

https://www.dansnoscoeurs.fr/

 

Questions pratiques

Le site « Les mots du deuil » recense quantités d’articles, vidéos, liens se rapportant à ce sujet. Il n’hésite pas à appeler un chat un chat, et à se pencher sur des questions très pratiques qui se posent à ceux qui restent. Par exemple, que faire des affaires de l’être cher tout juste décédé ? Réponse des Mots du deuil : ne pas s’en débarrasser, même si, au début, la vue de ces effets chargés de souvenirs est insupportable. Il arrivera un moment où leur besoin se fera sentir, car ils forment une partie importante du nouveau lien que l’endeuillé sera amené à recréer. Mais il ne s’agit pas non plus de tout garder. Figer les choses est un frein. Or, il faut avancer…

deuil.comemo.org (le chapitre « Vivre son deuil » recense un nombre impressionnant d’associations
d’aide aux personnes endeuillées)

 

 

 

 

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