Stéphanie Le Gal Gorin est sociologue, spécialiste de l’égalité femmes-hommes et de la lutte contre les discriminations.
Deux ans et demi après, quel regard portez-vous sur #MeToo et #BalanceTonPorc ?
Les réseaux sociaux peuvent avoir du bon ! Cela a contribué à ce que les femmes dénoncent les violences qu’elles subissent, pas seulement les plus graves. Ce que j’observe, c’est un autre regard sur le sexisme ordinaire, de la part des femmes elles-mêmes, mais aussi de la part des hommes. Il y a une prise de conscience. J’interviens en milieu carcéral, j’entends beaucoup moins de propos qui écorchent les oreilles. Alors que c’est un milieu sans filtre. Les choses ont évolué depuis plusieurs mois. On parle moins négativement de #MeToo, dont on disait au départ que c’était pour les femmes célèbres. Depuis les dernières révélations dans le milieu du sport, la notion d’emprise d’un auteur de violences sur la victime est mieux comprise.
Que pensez-vous du Grenelle sur les violences conjugales ?
Je me doutais que ce serait une opération avant tout médiatique. Cela dit, ce qui est bien, c’est qu’on en a parlé et que les lieux d’accueil ont vu arriver plus de proches pour parler de leur mère, de leur sœur, etc. Autre chose positive : il y a des changements concrets en matière de protection des victimes et de la prise en compte de l’emprise dans la loi. Mais les moyens financiers ne suivent pas. On n’a pas de moyens pour faire de la prévention.
Dans de nombreux domaines, les inégalités perdurent : salaires, postes à responsabilités, place dans la politique. Comment expliquer cette situation en 2020 ?
L’arsenal législatif est là, même s’il est encore perfectible dans le domaine des violences sexuelles. Le fait qu’il n’y ait pas d’âge minimum sur le consentement sexuel en dit long. Mais pour le reste, les lois existent. C’est juste qu’elles ne sont pas bien appliquées. La priorité n’est jamais là. Il y a des sanctions, des amendes contre les grandes entreprises qui n’appliquent pas l’égalité professionnelle, mais il faut croire que ce n’est pas suffisant. C’est comme ces partis politiques qui préfèrent payer que d’appliquer la loi sur la parité. Je maintiens que c’est une question de volonté politique. L’envie de réformer n’est pas là.
Dans le domaine professionnel, parfois, les femmes n’osent pas…
Bien sûr, car nous sommes dans une société patriarcale. Il faudrait commencer à travailler ces questions dès l’enfance ; l’idée est d’apprendre à déconstruire les stéréotypes que nous portons toutes et tous. Rien n’indique scientifiquement que les femmes soient plus disposées à faire telle ou telle tâche. Mais elles restent cantonnées dans certains métiers, les moins valorisés, les moins payés.
Quels sont les pays européens les plus avancés en matière d’égalité femmes-hommes ?
On parle souvent des pays scandinaves, mais dans le domaine des violences, je voudrais mettre en avant le modèle espagnol. En 2004, une loi globale a été votée, des moyens financiers ont été mis sur la table, des tribunaux spécialisés ont été mis en place. L’Espagne a vu les féminicides diminuer très concrètement. Nous devrions nous en inspirer.
Propos recueillis par Sébastien Drouet