Michel Wieviorka, sociologue, est l’auteur de L’antisémitisme expliqué aux jeunes (Le Seuil).
Pourquoi distingue-t-on racisme et antisémitisme ?
Si vous êtes sociologue, l’antisémitisme est une forme de racisme parmi d’autres et il n’y a pas de raison d’en faire un univers distinct. Si vous êtes historien, la haine des Juifs est un phénomène unique qui a 2 500 ans. Rien, nulle part, ne ressemble à cette continuité dans la haine. C’est donc à part. Il faut en fait marcher sur les deux jambes, dire à la fois que l’antisémitisme est un racisme, mais si particulier qu’il justifie d’être traité dans sa spécificité.
Que reprochent les antisémites aux Juifs ?
La haine des Juifs a existé dès l’Antiquité, mais les sources contemporaines de l’antisémitisme sont certainement liées aux débuts du Christianisme. Aux Ve, VIe, VIIe siècles, dans le monde chrétien, les Juifs se voient reprocher d’être un peuple déicide, qui a tué Jésus, et d’être un peuple « à la nuque raide », qui ne veut pas rejoindre la nouvelle religion. C’est une haine non pas raciale, mais religieuse. Je saute beaucoup d’étapes jusqu’à la fin du XIXe siècle, dans un contexte où les idées raciales, selon lesquelles il y a des races humaines, se développent énormément. Apparaît sur fond de discussions savantes l’idée que les Juifs sont des Sémites et qu’il faut s’opposer à cette race particulière. Dans les années 1880, Wilhelm Marr invente le mot « antisémitisme », qui connaît un succès fulgurant et cristallise l’idée que les Juifs sont aussi une nature, une race. C’est la naissance de l’antisémitisme moderne.
Après la Seconde Guerre mondiale, la haine des Juifs semble disparaître tandis qu’Israël, état d’un peuple persécuté par les Nazis, est en train de naître. La guerre des Six-Jours, en 1967, donne l’image de la victoire de David contre Goliath. Tout change à la fin des années 70, avec la renaissance d’une extrême-droite qui invente le négationnisme. L’idée fait son chemin et connaît un grand essor sous la conduite de Faurisson. De plus, l‘image d’Israël se ternit en 1982, avec les massacres de Sabra et Chatila, au Liban. Que l’armée israélienne n’a pas commis (ce sont les milices chrétiennes qui ont assassiné des Palestiniens), mais n’a pas empêchés. L’image d’Israël va continuer de se détériorer, notamment avec l’Intifada, où c’est le peuple palestinien qui est devenu David, et Israël, Goliath.
D’où viennent ces phrases que l’on entend encore, « les Juifs ont de l’argent », « ils ont le pouvoir »…
Au Moyen Âge, la persécution religieuse des Juifs avait pour effet de leur interdire certains métiers. Par conséquent, ils se sont tournés vers d’autres activités. Certains – mais pas tous ! – ont choisi des professions commerciales et financières. C’est à partir de là que l’on a associé les Juifs à la banque, à la finance, au commerce, et dans l’imagerie populaire, cela a pu prendre un tour négatif. C’est le fruit d’une histoire où l’on exclut d’un domaine un groupe humain, qui pour continuer à exister, s’investit dans d’autres spécialités.
Le point commun entre tous les racismes, est-ce le manque d’ouverture, la misère intellectuelle ? Il y a pourtant eu des intellectuels antisémites !
On ne peut pas résumer en une formule un phénomène aussi compliqué. Dire que tout cela se ressemble parce qu’ils ont ceci ou cela en commun n’est jamais complètement juste, ni complètement faux. Leur point commun, c’est que ce sont des phénomènes de haine, rejet, peur, mépris, ou de rapport de forces.
Quels antidotes contre cela ?
Il faut lutter concrètement et immédiatement tout en préparant l’avenir par l’éducation. Un arsenal de lois est nécessaire, tout en l’adaptant à notre époque. La haine des Juifs circule beaucoup sur Internet. Il faut réglementer cet usage.
Propos recueillis par Sébastien Drouet