Le magazine féminin des Orléanaises (depuis 2010)

La liberté, l’espace public et les masques

Daniel Ramirez, philosophe, participe depuis 25 ans au développement des cafés philosophiques. Docteur en éthique et en philosophie politique (Paris-Sorbonne), professeur de philosophie au CIFPR (Formation de Psychothérapeutes) à Paris, conférencier, compositeur de musique et écrivain, il anime depuis des années le café-philo du lycée Jean-Zay, à Orléans.

Le public n’est pas seulement le contraire du privé ; c’est le lieu commun de la socialisation, là où nous sommes avec les autres, en interaction, et où nous avons affaire aux règles collectives (normes morales, lois). Nous revendiquons évidemment le droit d’aller et venir dans l’espace public, dont la privation est clairement le fait d’être en prison ; mais il est évident qu’on ne peut pas faire n’importe quoi, comme un rodéo à moto dans un centre-ville – et pourtant c’est l’espace public.

Des situations d’exception peuvent-elles justifier que l’on soit privé de ce droit ? Une réponse positive est possible si le fait de la non-restriction entraîne des grands dangers incompatibles avec la poursuite de notre société : bombardement, tsunami, épidémies graves, incendie massif. Il faut évacuer et personne ne s’y oppose. La peur et l’instinct de survie font que ces mesures (aller dans les refuges, par exemple) ne sont pas contrariées. Ce fut aussi le cas pour les confinements, en général respectés, bien qu’inédits.

Que se passe-t-il quand le danger n’est pas perçu avec clarté par une partie de la population ? L’État a-t-il le droit de protéger les gens à l’encontre d’eux-mêmes ? Particulièrement, le port du masque menace-t-il notre liberté ?

Situation étrange, explicable par la complexité de l’information en jeu. Un virus mal connu dont la maladie est difficilement distinguable d’autres, une politique de communication erratique où la vérité n’a pas été perçue comme le souci premier, le tout couronné d’une inondation de fake news. Le masque (parce qu’il n’y en avait pas) a été déclaré inutile au début ; puis nécessaire. Cela justifie-t-il la contestation, voire la désobéissance (est-elle « civique » ?) ?

Il s’agit de protéger les autres

Le masque en principe ne protège que peu celui qui le porte, mais celui à qui il n’enverra pas ses postillons contenant potentiellement du virus. S’il s’agissait de vous protéger vous-même, et que vous n’en voyiez pas la raison, le droit de désobéissance se discuterait (comme la consommation personnelle d’une drogue ou le port de la ceinture pour un conducteur seul). Risquer sa vie – et sa seule vie – ou sa propre santé est stupide, mais l’intelligence n’est pas obligatoire.

Or, il s’agit de protéger les autres, notamment les plus vulnérables. Évidemment, l’État est parfaitement dans son rôle. En outre, une épidémie est un risque particulier dont se protéger soi-même (question qui reviendra d’actualité quand il y aura un vaccin) diminue la circulation globale du virus et protège donc les autres.

Je voudrais bien savoir, pour finir, si les ardents défenseurs de la liberté contre le port du masque étaient dans les rues pour manifester contre le « délit de solidarité » pour l’aide aux migrants, ou contre les contrôles des communications sous prétexte de lutte anti-terroriste ? Étaient-ils là contre l’apartheid ou pour la défense de la liberté menacée de tant de peuples ?

Exhiber son sourire (d’ailleurs rare) est-il si important que cela mériterait de mettre en danger les autres et menacer la société de nouvelles mesures de confinement ?

Par Daniel Ramirez

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