Notre pire ennemi, c’est notre front bas. Celui qui nous empêche de voir plus loin que le bout de notre nez et qui nous maintient la tête enfoncée dans le guidon sans qu’on ne puisse la relever. Un front brumeux qui nous fait pousser des œillères au lieu de nous faire pousser des ailes. Changer, c’est risquer. Alors on préfère laisser Dieu jouer aux dés à notre place. Comme nous n’osons pas sauter dans le vide, nous fantasmons une vie meilleure que nous n’aurons jamais. Pour se rassurer, on se dit que c’est le destin ! Cette Gorgone qui nous pétrifie dès que l’on croise son regard, qui nous paralyse, qui nous inhibe et nous fait croire que la vie est un chemin tout tracé, que la liberté ne dépend pas de nous. Alors, la résignation enfante l’ennui qui accouche lui-même d’une petite vie qu’on espérait pourtant grande et vaste. Mais l’immensité de nos ambitions ratées se solde bien souvent par une existence invariable où tout finit par être petit. Petit nid, petite maison avec petit bout de jardin, petit confort, petites habitudes, petits soucis, petite femme ou petit mari, petites promenades du soir, petits cafés du matin, petit plaisir de la journée, petite soirée tranquille… Rien de grand dans cette petitesse là. Pourtant, nous sommes tous des acrobates coincés au-dessus du vide sans savoir que nous avons des ailes dans le dos. Notre vie n’est pas un simple fil tendu au sommet d’une falaise, mais un ciel immense. Si Dieu joue, ce n’est certainement pas pour ressortir toujours la même combinaison. Au contraire, il lance les dés pour que nous soyons une infinité de nous mêmes, une probabilité d’existences, une multitude d’êtres improbables ! Devenir boulanger quand on a été trader, ouvrir un gîte après avoir été un avocat réputé, changer de pays pour réussir ailleurs, quitter son partenaire pour tenter une autre vie amoureuse, c’est savoir dévier du chemin pour sauter à pieds joints dans le fossé d’à côté, explorer nos possibilités intérieures comme jadis on explorait une Terre qu’on croyait plate avec l’angoisse de tomber dans un puits sans fond. L’homme d’aujourd’hui doit être l’aventurier de son monde intérieur, où chaque partie de lui-même est un continent qu’il doit découvrir. Le changement, c’est possible. Mais comme dans tous les régimes, on attend souvent le lendemain pour commencer ! Changer de vie ? On verra ça lundi…