Marie-Frédérique Bacqué est psychologue, psychanalyste, rédactrice en chef d’Études sur la mort et professeur des universités à Strasbourg. Son ouvrage Apprivoiser la mort (éditions Odile Jacob) vient d’être réédité.
Est-ce toujours possible de se remettre du décès d’un proche ?
La question du chagrin, du deuil et de l’aptitude au deuil dépend de la façon dont les séparations infantiles ont été vécues. Car le deuil correspond surtout à une perte irréversible qu’il est difficile d’admettre si l’on présente une certaine immaturité face aux épreuves de la vie. Se relever après une perte est donc toujours difficile, et parfois impossible en raison des difficultés liées à l’enfance, et aussi à cause de certaines circonstances : cumul de pertes, environnement de guerre ou de chaos (catastrophes), enfin, nature de la perte, comme par exemple les suicides, les meurtres, qui donnent toujours lieu à des questionnements sans issue (« Pourquoi s’est-il tué ? », « Pourquoi a-t-il été tué et de cette façon ? »).
Le deuil différé (refus de la réalité) découle souvent d’une impossibilité de penser la mort (immaturité, catastrophe, circonstances atroces). Les enfants présentent souvent des deuils différés parce qu’ils n’ont pas de mots pour exprimer ce qu’ils ressentent, mais aussi parce que les adultes ne mettent pas en mots ce que l’on peut éprouver lors de la mort d’un proche : « Peut-être ressens-tu beaucoup de colère au fond de toi ? Tu voudrais pleurer, mais tu te retiens parce que tu penses que cela va rendre encore plus triste ta maman… »
Le deuil chronique est le deuil sans fin. L’absence ou l’insuffisance de rituels ou de paroles familiales ne permet pas de clore la période du chagrin par un discours collectif. C’est la place sociale des rites qui propose de célébrer ensemble le mort et de lui donner sa place définitive dans la collectivité (la pierre tombale a été gravée, une cérémonie religieuse anniversaire est proposée à tous).
Comment aider une personne endeuillée ?
Les rites collectifs s’essoufflent considérablement depuis un siècle, il est temps de réfléchir collectivement à ce que les rites de deuil apportent. Le deuil est à la fois encore un tabou et parfois idéalisé. Il est temps de mettre en place des temps collectifs de réflexion, dès l’école maternelle.
Les aides sont variées : aide sociétale (parler plus librement avec sa famille, ses voisins, ses amis), aides religieuses ou associatives (rencontrer des groupes communautaires et s’y exprimer avec l’aide d’animateurs professionnels)… Dans les situations plus difficiles (cumul de deuils, traumatismes), on peut rencontrer un professionnel du deuil et entamer des entretiens psychothérapiques ou une psychothérapie.
« Faire son deuil » s’applique à d’autres situations : amour, travail, amis. Est-ce le même processus psychologique, avec cette succession d’étapes ?
Il n’y a pas de succession rigide d’étapes. La perte d’un être cher n’est pas comparable avec la perte d’un travail. Je mettrais donc à part toutes les pertes abstraites pour ne garder que les pertes affectives. Perdre un membre de sa famille, un ami, donne lieu aux mêmes difficultés du deuil : refus de la réalité, révolte, dépression normale du deuil, retour à la réalité et acceptation que la vie ne sera plus jamais la même.
Pour la perte du travail ou de la maison, les circonstances concrètes prennent le pas sur les affects ou alors la nostalgie que déclenche la perte d’une maison ou d’un objet relève d’une autre perte qui est connexe (par exemple, la maison d’enfance est reliée à celle des grands-parents).