Souvenez-vous, c’était il n’y a pas si longtemps… Le confinement imposé à tous nous avait permis de découvrir, ou de redécouvrir, un phénomène au départ entièrement naturel et gratuit, mais depuis longtemps piétiné par nos rythmes fous : le silence. À peine entrecoupé de chants d’oiseaux et du ruissellement de l’eau, au loin (n’est-ce pas bucolique ?). Si l’on met de côté les innombrables difficultés liées à cette période particulière, beaucoup auront remarqué, parmi les rares aspects positifs du confinement, cette trêve pour les oreilles, cette « paix » rendue seulement possible par un incroyable concours de circonstances, mais inimaginable, même pas en rêve, le reste du temps. Dans des conditions de vie dites normales, le silence et ses bienfaits ne seraient-ils donc réservés qu’à une caste ?
Bruit : « Ensemble de sons perçu comme gênant. Cela en fait une notion subjective : le même son peut être utile, agréable ou gênant selon qui l’entend et à quel moment. Au-delà d’une certaine limite (niveau sonore très élevé), tous les sons sont gênants voire dangereux, même les sons agréables comme la musique. » (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles – INRS)
Au printemps, le confinement a instauré un improbable retour au calme, inenvisageable jusqu’alors. Avec les voitures et les camions à l’arrêt, les scooters rangés au garage, les avions cloués au sol et les usines mises au ralenti, beaucoup d’entre nous ont redécouvert les sons délicats de la nature, un « silence » à peine troublé par le chant des oiseaux. Et puis mi-mai, masque ou pas masque, tout est redevenu comme avant, sur ce plan-là du moins, et les murmures de la nature se sont dissouts dans la folie ambiante, dans le remue-ménage permanent auquel nous sommes accoutumés. Le bruit, deuxième nuisance sanitaire environnementale en Europe après la mauvaise qualité de l’air, était de retour… Le bruit ou les bruits plutôt, car il existe différents types de bruits, tous ces sons que 80 % des Français considèrent comme une pollution*, au premier rang desquels se situent les bruits de voisinage, inutiles, désinvoltes, agressifs, de jour comme de nuit (aboiements, musique trop forte, outils de bricolage et de jardinage, jeux bruyants, cris, pétards), qui peuvent être mesurés par des agents assermentés puis, après envoi du PV au procureur de la République, être sanctionnés d’une amende de 68 € dans un premier temps s’il n’y a pas moyen auparavant de… s’entendre ; mais aussi les bruits au travail, les bruits des transports, les bruits des sites industriels, les bruits dans l’habitat… Le bruit est partout !
Les dangers du bruit
Le bruit est une pollution, et en cela un phénomène qui a des répercussions sur la santé. Un Européen sur quatre est exposé à des niveaux sonores dangereux chez lui, à l’école, au travail. C’est une agression qui provoque stress et fatigue, affecte les capacités d’apprentissage et de mémoire, perturbe le sommeil, cause des maladies cardiovasculaires. Logiquement, ce sont les habitants des grandes villes qui sont les plus menacés. À Paris, au niveau de l’Arc de Triomphe, on enregistre des pointes à 120 décibels (dB), soit l’équivalent d’un marteau-piqueur ! Nous ne nous étendrons pas sur les dangers du smartphone et des écouteurs sur de jeunes oreilles ; un ado sur deux a déjà ressenti une douleur auditive. Attention, les dégâts sont irréversibles… Et toutes les catégories de la population sont concernées. Un sondage Ifop a révélé en 2018 que 59 % des actifs étaient gênés par le bruit sur leur lieu de travail. Pas uniquement des ouvriers du bâtiment, donc, mais aussi des salariés du secteur des services (54 %), des administratifs (60 %). Un effet imprévu du décloisonnement des bureaux… En open-space, on ne s’entend plus penser. Sans compter le sentiment d’être surveillé en permanence. Du coup, les gens se mettent des casques pour s’isoler ! Plus de la moitié des actifs se plaignent de fatigue, de lassitude, d’irritabilité à cause de l’ambiance sonore. Un quart entend moins bien les signaux d’alerte, ce qui représente un vrai danger, direct, dans certains métiers. Et si l’on s’y habitue, chez soi ou au travail, la nuisance n’est pas moindre pour autant : le bruit de fond détruit les cellules ciliées et finit ainsi par rendre, insensiblement et partiellement, sourd.
Sound of silence
Pour apaiser nos tympans sursollicités, nous allons partir à la recherche du silence. Peut-on le définir comme absence de sons, et à plus forte raison, de bruit ? Dans ce cas, s’il existe dans l’espace, le cosmos, on conviendra qu’ici, sur terre, à moins d’être dans un désert, il est fait essentiellement de l’absence de bruits parasites. Mais lorsqu’il est profond et prolongé, il devient vite synonyme de « vide ». « Hélas, oui, pour la majorité de la population, abonde Caroline Rémond, auteure d’un livre sur le bruit (lire son témoignage plus loin). Je dis hélas, car le constat d’une addiction quasi-culturelle au bruit a été dressé par plusieurs professionnels.
Et pourtant, ce rapport au silence a tant à nous apprendre sur nous-mêmes. Ne serait-il pas plus judicieux d’approfondir ce que nous fuyons à travers le bruit ? »
Or, le vide fait peur. Pour le combler, on convoque la musique de fond. Dans les ascenseurs, au restaurant, les halls de gare, les magasins… Chez soi, on allume la radio, ou la télé sans même la regarder, juste pour remplir le vide du silence. Il fait peur, donc, mais lorsqu’on le désire vraiment, quand il devient nécessaire, il semble inaccessible. Est-il devenu un produit de luxe ?, s’interrogeait récemment France Culture. Le silence pour les riches, le bruit pour les pauvres, les premiers ayant les moyens de choisir des lieux sinon totalement silencieux, du moins emplis de sons doux comme ceux du vent et de la mer. Ce n’est évidemment pas si simple : le centre de Paris, zone bruyante par excellence, est réservé aux hauts revenus. Alors qu’une balade en forêt n’impose pas d’être spécialement fortuné. Mais au moins les personnes aisées ont le choix, tandis que les habitants des grands ensembles saturés de bruits de voisinage et de scooters, pas vraiment.
Les bienfaits du silence
Le silence est important pour la démocratie. Pour construire, avoir une parole qui sera écoutée, il faut du silence. « Le bruit, le fond sonore, c’est se fondre dans l’anonymat, selon l’ingénieur acousticien Christian Hugonnet**. On perd en personnalité, on arrive dans un monde où plus personne ne s’exprime vraiment. » Selon la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury, « le silence est un droit, social ou du travail. Faire silence n’est pas spontané, c’est une activité sociale. On a besoin de silence pour la qualité de la parole publique, ou tout simplement pour être ensemble. Les architectes en sont conscients : l’environnement sonore est capital. »**
S’il est nécessaire pour préserver la santé de la démocratie, il l’est aussi pour assurer celle des humains. Il réduit le stress et la fatigue. Selon la revue Hearts, deux minutes de silence soulagent les tensions. Mieux : pour Brain Structure and Function, deux heures de silence permettent de créer de nouvelles cellules dans la région de l’hippocampe, zone du cerveau liée à l’apprentissage, aux souvenirs et aux émotions. Il améliore le sommeil, diminue le risque de maladies cardiaques. A contrario, vivre dans le bruit, c’est abréger sa vie : selon l’OMS, 340 millions de personnes en Europe occidentale perdent des années de vie à cause du bruit. Alors, quand cela est possible, réservez-vous des plages de silence : mettez le téléphone en mode silencieux, justement, éteignez les appareils, méditez. Écoutez vos petits bruits intérieurs, votre souffle, votre cœur qui bat. Des bruits ? Non… les sons de la vie.
* bruit.fr, site web du Centre d’Information sur le bruit (CidB)
** France Culture, émission : « Le silence pour les riches, le bruit pour les pauvres ? », 27/08/2020
L’audition : un sens essentiel
Comme chaque année, une journée nationale est consacrée à l’audition ; elle aura lieu le 11 mars 2021. Plus près de nous, du 12 au 16 octobre prochain, se tiendra la 5e édition de la semaine de la santé auditive au travail, sur le thème : « Bruit et santé au travail. Bien comprendre la parole au travail, un défi santé-performance ? »
www.sante-auditive-autravail.org
www.journee-audition.org
Le bruit à Orléans
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 43 % des Français disent être gênés par le bruit, 49 % estiment que la situation du bruit en ville s’est détériorée ces dix dernières années, 87 % considèrent le bruit comme une nuisance rédhibitoire à la définition du logement idéal, 54 % pensent que le transport est la principale source de nuisances sonores (c’est effectivement de là que provient 80 % du bruit, du transport routier surtout). Dans la métropole orléanaise, des cartes mettent en évidence des points noirs où les valeurs critiques (> 70 dB) sont dépassées : 9 177 habitants et 25 établissements sont concernés par un trop-plein de bruit routier, 237 habitants et un établissement par le bruit ferroviaire. En général insuffisamment pris en compte sur le plan national (lire l’interview plus loin), le bruit, à Orléans et dans la métropole, est au cœur d’un Plan de Prévention du Bruit dans l’Environnement* (révisé l’an dernier pour la période 2020-2024). À partir de 5 axes stratégiques, 37 actions sont ou vont être mises en place, comme la prise en compte du facteur bruit dans tout nouveau projet de construction et d’aménagement.
* Consultable sur www.orleans-metropole.fr
Sébastien Drouet