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Le stress décisionnel, un signe annonciateur de psychose

Un stress démesuré face à la prise de décision pourrait être l’un des signes précurseurs d’un état mental perturbé.

Imaginez que vous soyez plongé dans un univers dans lequel les événements n’auraient pas toujours les mêmes conséquences, et dont les règles changeraient à votre insu ? Comment vous adapteriez-vous ? La prise en compte de l’incertitude dans la prise de décision est une question fondamentale de psychologie générale. Notre univers s’avère plus ou moins prédictif et notre cerveau doit s’adapter sans cesse à cette incertitude pour faire les meilleurs choix possibles en toute situation. C’est le sujet auquel se sont intéressés Fabien Vinckier et Raphaël Gaillard, chercheurs de l’hôpital Sainte-Anne, de l’Inserm et de l’Université Paris Descartes, en collaboration avec Mathias Pessiglione, chercheur Inserm au sein de l’Institut du cerveau et de la moelle à la Pitié–Salpêtrière, et Paul Fletcher, de l’université de Cambridge en Grande-Bretagne. Cette étude, parue dans Molecular Psychiatry, révèle que la capacité à adapter nos décisions à l’incertitude inhérente à tout choix serait perturbée dans les premiers temps de la psychose.

Un protocole expérimental

Des participants ont été invités à jouer à un jeu sur ordinateur au cours duquel ils devaient décider de miser ou non sur des symboles. Les règles n’étaient pas toujours appliquées et s’inversaient de temps à autre : un symbole faisant globalement gagner de l’argent se mettait par exemple à en faire perdre, et vice versa. Placés dans ces conditions, les participants devaient être capables, pour adapter leurs choix, de détecter à la fois les changements des règles du jeu et les moments de stabilité.

Il a été possible de montrer, grâce à des modèles mathématiques, que pour être le plus efficaces possible, les participants utilisaient, au moment du choix, leur confiance dans les règles du jeu. Pour reproduire les conditions des premiers temps de la psychose, les participants ont ensuite reçu en perfusion, alternativement, soit un placebo, soit de la kétamine à très faible dose. La kétamine est un agent anesthésiant utilisé tous les jours à forte dose au bloc opératoire, et qui provoque, à faible dose, des symptômes ressemblant beaucoup aux premiers temps d’un épisode psychotique. Le comportement des participants et leur activité cérébrale mesurée en continu en imagerie cérébrale magnétique fonctionnelle (IRMf) permettaient d’identifier les effets de la kétamine.

Grâce à ce dispositif, les chercheurs ont pu démontrer que ce produit altérait la capacité des participants à distinguer les moments pendant lesquels les règles du jeu étaient stables et ainsi à optimiser leur comportement. Sous l’effet de la kétamine, ils ne parvenaient pas à miser systématiquement sur le symbole gagnant, comme si un doute persistant les perturbait.

Une piste explicative et un espoir de traitement

D’après les chercheurs, ce déficit symptomatique serait corrélé à un dérèglement du réseau cérébral fronto-pariétal qui peut être directement mis en lien avec la voie moléculaire sur laquelle agit la kétamine et sur laquelle se concentre actuellement la recherche sur de nouveaux traitements de la schizophrénie.

Ce résultat s’inscrit ainsi dans la continuité de la publication parue dans la revue Science en 2008 sur l’émergence de phénomènes d’allure psychotique (superstitions, scénarios conspirationnistes) chez des personnes soumises à une forte incertitude. Certains symptômes psychotiques tels que l’émergence d’idées délirantes, pourraient constituer une sorte de réponse inadaptée à l’incapacité de construire et de maintenir une représentation stable du monde.

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