Le magazine féminin des Orléanaises (depuis 2010)

Les diktats de la société : lisse et parfaite

Plus le droit à l’erreur, plus de prise de risque, rien qui dépasse ; bienvenue dans une société « hygiéniste », lisse à tous les niveaux. Attention : s’il vous vient l’idée de marcher en-dehors des clous, vous serez voués aux gémonies par la grâce de réseaux sociaux qui se révèlent être de véritables tribunaux populaires. Et encore, si tout cela en valait la peine ! Mais c’est à voir…
Car derrière des causes louables, se cachent de redoutables effets pervers. Sébastien Drouet

 

Soyez heureux, c’est un ordre !

Le comportementaliste Frédéric Arminot s’interroge sur la « dictature du bonheur » dans laquelle nous vivons. 

La « dictature du bonheur », dont vous parlez sur votre site web, semble avant tout liée à des intérêts économiques…
Pas que… Il est évident que dans notre système socio-économique, injonction nous est faite de – prétendument – participer à notre bonheur pour alimenter une consommation de produits ou de services liés au bonheur. Déroger à cette injonction nous fait courir le risque d’être en dehors du cadre. Un peu comme la mode, ou la culture du corps et, partant, d’être exclu(e). La dictature du bonheur serait à la fois l’interdiction de ne pas nager dans le bonheur, ou de feindre d’être dans un bonheur béat, et celle de ne pas participer à l’économie, à la consommation.

Quelle est donc votre définition du bonheur ?
Le bonheur, comme le malheur, est éphémère. C’est un état ponctuel. Nager dans le bonheur n’est qu’une expression qui ne traduit pas la réalité. D’ailleurs, pour nager dans le bonheur, et l’apprécier pour ce qu’il est, il faut être passé par le malheur. Comme le meilleur moyen d’avoir du plaisir est d’avoir préalablement souffert. Ainsi, la frustration est la seule porte d’accès au plaisir.

Notre société tend à être de plus en plus lisse, parfaite, il faut que rien ne dépasse. Cela entraîne-t-il des névroses, des frustrations de la part de gens qui échouent à entrer dans le moule ? Et jusqu’où cela peut-il nous mener ?
Notre société tend à vouloir tout contrôler, et ce dans tous les domaines de la vie d’un être humain. Inéluctablement, c’est effectivement la porte ouverte, ou l’enrichissement, de névroses, de frustrations, de peur d’échouer, et de quantités de troubles du comportement.

En voulant tout contrôler, comme à l’aide de récentes lois liberticides, notre société participe activement à générer ce qu’elle cherche précisément à éviter. C’est un peu comme l’hyper sécurité qui engendre l’insécurité. Je ne sais pas où cela peut mener l’être humain, mais je ne peux m’empêcher de penser à cette citation d’Albert Einstein : « La folie, c’est de recommencer les mêmes erreurs en attendant des résultats différents. »

fredericarminot.com

 

 

1. TES DÉCHETS TU TRIERAS

Tout part d’une bonne intention. Puisqu’on nous a dit et répété qu’il fallait trier nos ordures pour sauver la planète. Alors trions, mes frères. Mais, déjà en 2010, le Point s’interrogeait : « Et si le tri ne servait à rien ? », se demandait alors l’hebdomadaire. « Vous triez vos déchets, vous nettoyez vos bocaux de confiture, vous écrasez les briques de lait et enlevez un à un les bouchons de jus de fruits vides, avant de descendre dans le local à ordures, où vous vous concentrez pour jeter les sacs dans le bon bac, le jaune, le vert ou le blanc… » Bon, très bien, on va dire que c’est votre contribution au sauvetage de l’espèce humaine. Mais est-ce vraiment utile, quand tous vos efforts sont ruinés en un millième de seconde par les centrales à charbon qui polluent à qui mieux-mieux à travers le monde ? Et est-ce vraiment efficace ? En réalité, seuls 39,5 % des déchets ménagers sont recyclés en France*. Encore loin – même si des progrès sont accomplis d’année en année – de l’objectif de 50 % fixé par l’Union européenne à l’horizon 2020… Pourquoi si peu ? Pire, pourquoi des déchets recyclables finissent-ils incinérés ? Plusieurs raisons à cela : incohérence – ici il faut jeter dans le bac bleu, alors que là c’est dans le jaune –, logos multiples et trompeurs, mauvaise volonté de l’exploitant, qui ne retrie pas et jette une benne entière à la décharge quand un seul particulier s’est trompé de bac… Ou alors, tout simplement, coût du recyclage plus élevé que celui de l’incinération. Car ne sont récupérés par les entreprises spécialisées que les déchets les plus rentables. Et avec quels bénéfices ! Admirez la manœuvre : c’est vous qui triez, ce sont les collectivités locales qui ramassent à leurs frais (« Les éco-organismes qui redistribuent les contributions perçues auprès des industriels aux collectivités pour limiter le coût de traitement des déchets sont loin de jouer pleinement leur rôle », selon l’UFC-Que Choisir**), et ce sont des industriels du recyclage qui font de juteux bénéfices avec des emballages que vous avez payés et que vous leur avez donnés.

Des petits bonshommes grimaçants sur les panneaux tu verras…
Il est vert et il sourit quand vous restez dans la limite de vitesse autorisée. Mais il est tout rouge et en colère quand vous franchissez le seuil légal. Ne riez pas, nous en sommes là… C’est l’ère du smiley, même pour des conducteurs qui en principe ont au minimum atteint l’âge de la majorité. Vous avez dit « infantilisation » ?

 

 

2. AVEC LES LOUPS TU HURLERAS

C’est une histoire vraie, qui remonte au début des années 70. Le règlement du tournoi de Wimbledon, très à cheval sur l’étiquette, obligeait alors les joueurs et joueuses de double à porter strictement la même tenue vestimentaire, sous peine de payer une forte amende. Au premier tour d’un double-messieurs de l’époque, les spectateurs, le corps arbitral, les adversaires et le partenaire d’Ilie Nastase attendirent longtemps ce dernier avant qu’il n’arrive sur le court. C’est le visage recouvert de maquillage noir qu’il fit son apparition, sous un déluge de rires et d’applaudissements, à commencer par ceux de son partenaire, le noir américain Arthur Ashe. Nastase fut puni d’une amende minime, pour la forme, mais quel serait le déchaînement aujourd’hui ? De quels noms d’oiseaux le Roumain serait-il accablé ? Probablement les mêmes qu’Antoine Griezmann, auteur d’un « black face », ou supposé tel, en décembre dernier, geste que le footballeur concevait plutôt comme un hommage aux fabuleux basketteurs, les Harlem Globetrotters. Eh oui, le « black face », véritable acte raciste aux États-Unis il y a un siècle, a été attribué sans discernement au brave Griezmann qui méconnaissait – il n’est pas le seul – l’existence même de ce terme… Griezmann a dû se résoudre à enlever la photo avant de se fendre d’un mot d’excuse. Même polémique partie en flèche sur les réseaux sociaux avec la « crinière de lionne » dont a été affublée l’ancienne miss France par la nouvelle, en décembre dernier : « Après une blonde, une brune, une miss à la crinière de lionne, pourquoi pas une rousse ? », avait réagi après son couronnement la miss Maëva Coucke. Quelle affaire !

En revanche, la Nuit des Noirs, fleurant bon le colonialisme de grand-papa, a pu se dérouler comme prévu le 10 mars, dans le cadre du carnaval de Dunkerque…

 

 

3. TON ALIMENTATION TU SURVEILLERAS

Non à la viande rouge, au sucre et à l’alcool ! On nous le répète suffisamment, mais… ce n’est pas nouveau. Il y a un siècle, ces trois « poisons » étaient déjà mis à l’index, avant de bénéficier d’un retour en grâce quelques décennies plus tard. Le sucre, par exemple, a été réhabilité en 1986 par la Food and Drugs Administration, l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments… sans doute pas à l’abri de pressions lobbyistes (difficile d’exonérer le sucre industriel de ses méfaits en matière de santé). Le vin, lui, est à peu près bien vu par le corps médical depuis la découverte du « french paradoxe », qui met en avant les bienfaits sur le système cardio-vasculaire de trois petits verres de vin quotidiens. « À consommer avec modération ! », nous empresserons-nous d’ajouter comme l’ensemble des médias dès qu’ils abordent ce sujet. Pour la bonne conscience et parer toute attaque…

Pas besoin d’avertissement pour l’huile d’olive en revanche. Du gras bon pour la santé ? Eh oui, depuis la découverte du fameux « régime crétois », à base d’huile d’olive, de pain et de fromage, un menu qui fait des centenaires sur les bords de la Méditerranée. Pourquoi pas… Et en général, pourquoi ne pas profiter, avec mesure (comme tout), des bonnes choses de la vie ? Ainsi, « si on n’a pas de problème avec le gluten ou le lait, pourquoi se priver de manger les aliments qui en sont pourvus ? », se demandait la diététicienne anti-régime Ariane Grumbach, auteur du livre La gourmandise ne fait pas grossir (Carnets Nord), en janvier dernier sur France Inter***. « Tout ce que l’on entend ou qu’on lit est peu sérieux, dit-elle, car les études fiables concernant l’impact de l’alimentation sur la santé sont rares. » Finalement, les interdictions, les injonctions dont on nous abreuve conduisent à la culpabilité, à la honte, à l’asociabilité (à cause de l’orthorexie, le fait de refuser certains aliments, donc certains repas en famille, les restaurants, etc). C’est cela, le bonheur ?

Un slogan imposé par un lobby
Faut-il vraiment ingurgiter « cinq fruits et légumes par jour » pour être en forme ? À l’origine de la campagne lancée en mai 2000 par l’Association Interprofessionnelle des Fruits et Légumes frais, il s’agissait de dix fruits et légumes quotidiens. Dix ? C’était trop, cela allait décourager les gens. Va pour cinq ! Cinq fruits et légumes, donc ? Pas tout à fait : il s’agit en réalité de cinq portions de 80 g chacune, soit 400 g, sachant qu’une pomme en vaut 150. Cela dit, les dernières études montrent que c’est bien dix portions de végétaux qu’il faudrait avaler idéalement chaque jour…

 

 

4. LES DIFFÉRENCES HOMMES/FEMMES TU NIERAS

Monsieur, chiche de vous habiller en jupe pour aller au bureau demain ? Si vous refusez, vous risquez d’être pris pour un horrible réactionnaire… Car il n’y a plus de différences. Il paraît que nous sommes toutes et tous pareils****. En apparence du moins. Nous serons donc bien inspirés de trouver magnifique la photo, postée récemment sur un site féministe, d’un homme barbu, genre Carlos, habillé en robe. Gare à ne pas commenter de manière négative, sous peine de vous faire agonir ! Attention aussi à ne pas avouer que vous offrez des autos miniatures à votre fils et des poupées à votre fille. Il semble que cela ne se fasse plus en 2018. Et pourtant, osons le dire, hommes et femmes sont différents sur bien des points, comme l’a démontré le livre (et le spectacle) Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus. Vous voulez une trouvaille plus récente ? Voilà : selon certains auteurs, le cerveau des femmes les inclinerait plus à l’empathie et celui des hommes à l’analyse et à la construction de systèmes. « Aux divers stades de leur vie, les premières porteraient davantage attention aux personnes et les seconds aux choses, écrit Yann Verdo*****. Là trouverait sa racine la supposée préférence des petites filles pour les poupées ou les peluches (prises comme substituts de personnes réelles) et celle des petits garçons pour les voitures, camions et autres jeux de construction. Mais aussi, devenus grands, celle des femmes pour les postes présentant une composante sociale forte (comme les ressources humaines), et celle des hommes pour les postes présentant une composante technique forte. » Reste une question fondamentale qui n’a pas encore sa réponse : cette opposition personnes/choses, empathie/systématisation, si elle existe, a-t-elle un fondement biologique, ou bien résulte-t-elle seulement du contexte dans lequel sont élevés et grandissent garçons et filles, ce que les spécialistes appellent le processus de « gendérisation » ? À moins que cela soit un mélange des deux… Promis, dès qu’on a la réponse,

on vous fait signe !

*Contre 66,1 % en Allemagne et 45 %, en moyenne, dans l’Union européenne. Chiffres de 2015 (les plus récents connus) révélés lors de la Journée mondiale du recyclage (novembre 2017)
**« Gestion des déchets : recyclons vite la politique de prévention ! », avril 2015
***« Grand bien vous fasse », 23 janvier 2018, en podcast sur franceinter.fr
****Sauf au niveau des salaires, à poste et temps de travail pourtant similaires ; voilà une vraie inégalité que tout le monde devrait combattre !
*****Article du 22/09/2017 : « Hommes-femmes : même cerveau, même psychologie ? » (www.les echos.fr)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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