Le magazine féminin des Orléanaises (depuis 2010)

Les livres qui font du bien

Ce sont d’abord leurs couvertures qui nous font de l’œil, colorées, aguichantes, au graphisme étudié, avec des dessins, des photos, des trucs rigolos. Leurs titres ensuite, longs, très longs, démesurés, mystérieux voire incompréhensibles. Forcément, on plonge dedans. Et généralement, on ne regrette pas de suivre ces histoires d’amitié, de liens familiaux renforcés, d’épreuves vaincues à grand renfort de solidarité. Oui, ces livres font du bien ! Et s’ils sont conçus au départ pour être emmenés dans le sac de plage, ils sont particulièrement indiqués dans la période actuelle. Mais alors, quelle est la recette du succès de ces « feel good books » qui se vendent par millions ?

« Lire est le seul moyen de vivre plusieurs fois », disait Pierre Dumayet, présentateur de la mythique émission Lecture pour tous. C’est aussi en substance l’avis de Daniel Pennac, selon qui l’on vit plusieurs vies à travers les romans, à force de se mettre à la place des personnages, de réfléchir comme eux, de comprendre leur logique. Sans parler des situations, qui nous font découvrir des milieux différents à chaque fois, d’autres régions, d’autres pays, d’autres cultures. C’est une expérience différente de celle vécue à travers un film vu au cinéma ou à la télé. Même si certains, parmi ces derniers, nous marquent à jamais, le livre, lui, nous accompagne plusieurs jours, voire plusieurs nuits, nous fait vivre quantité d’émotions. « Accompagner », c’est le terme juste : car livres-compagnons, c’est aussi le nom que l’on pourrait donner aux « feel good books », littéralement « les livres qui font du bien », nés il y a longtemps dans les pays anglo-saxons, arrivés récemment en France et véritables phénomènes de librairie depuis le milieu des années 2010. Après d’autres tendances à succès comme la romance de vampires ou la romance pimentée (les Américains disent carrément « Mommy porn »), voici celle, plus durable semble-t-il, des « feel good books ».

Pas des romans à l’eau de rose

Le « feel good book », c’est une question de forme et de fond. La forme d’abord : un graphisme étudié, avec des couleurs chatoyantes, une police de caractères recherchée, des dessins sur les couvertures, ou des personnages, des objets pris en photo, en tout cas pas de couleur sombre et unie. Le titre lui aussi est particulier. À rallonge. Mystérieux, quand il n’est pas carrément incompréhensible, L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikéa, Le jour où les lions mangeront de la salade verte, Le parfum du bonheur est plus fort sous la pluie, ou encore Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates (!). Des titres faits pour donner envie d’en savoir plus, de se plonger dans la lecture. Mais justement, qu’est-ce que l’on trouve à l’intérieur de ces romans qui soit si « feel good » ? Réponse : des personnages qui pourraient être nous, qui nous ressemblent sous quantité d’aspects, et qui traversent des galères, qui rencontrent des problèmes de toute nature qui nous arrivent ou pourraient nous arriver, mais qui s’en sortent, qui croisent des personnes positives, avec qui elles échangent de francs et beaux rapports humains. Car c’est bien là que réside la particularité « feel good », à cheval entre la littérature de divertissement et la littérature classique : ce ne sont pas des romances à l’eau de rose, des histoires d’amour genre Barbara Cartland (et encore moins Harlequin). Ce sont des histoires d’amitié, ou de liens familiaux qui se renforcent dans l’épreuve. Des romans qui montrent le chemin, des « odes à la résilience et à la reconstruction »*, qui offrent une vraie réflexion sur la nature humaine, sur notre capacité à rebondir, à croire en nos rêves, à nous adapter à des situations difficiles. Le tout rédigé dans un style facile, décontracté, humoristique. « Le but n’est pas de raconter une histoire de Bisounours, rappelle la romancière Mathilde Chabot**, mais de prendre de la distance avec des événements durs de la vie et de redonner espoir aux lectrices et lecteurs qui peuvent se sentir concernés par les situations. » Finalement, une complicité s’installe entre l’auteur(e) et son lectorat, ce dernier se sent bien quand il parcourt ces lignes ; c’est pour lui comme une parenthèse ouverte dans un quotidien parfois compliqué.

Qui écrit ces livres, et pour qui ?

Évidemment, chacun, chacune, peut prendre plaisir à lire ce genre d’histoire. Force est cependant de constater que le lectorat concerné est essentiellement féminin. Et que les auteurs, hormis quelques hommes (Grégoire Delacourt, Gérard Legardinier, Romain Puértolas), sont souvent des auteurEs. C’est l’une des autres particularités des « feel good books » : beaucoup sont écrits par des femmes qui ne sont pas des professionnelles de l’écriture au départ (certaines le deviennent avec le succès), qui écrivent pour des femmes, comme si une sorte de solidarité, plus que cela, de sororité, les unissait. D’ailleurs, leur relation passe par d’autres biais que l’ouvrage en question. Car c’est sur Internet qu’éclosent la plupart de ces nouvelles pousses. Certaines ont mis leurs œuvres sur un blog, d’autres les ont déposées sur des plateformes. C’est le cas de Fanny Gayral, médecin mais aussi auteure originaire du Centre-Val de Loire, qui a écrit un premier roman en 2015, La génération spontanée des grumeaux, pour un concours où elle termina deuxième. Puis un autre, Le début des haricots, pour le même concours l’année suivante (mais il fut annulé). Dans la foulée, plutôt que d’envoyer ses deux manuscrits aux éditeurs, Fanny les mit en ligne sur Amazon. Résultat : 20 000 exemplaires du Début des haricots vendus sous format Kindle. Il n’en fallut pas plus pour qu’un grand éditeur, Albin Michel, s’intéresse à ce phénomène ligérien et lui signe un contrat pour sortir son livre en vrai, vendu en librairie ! Mais ni Fanny, ni ses consœurs et confrères n’oublient ensuite ce web qui les a fait connaître. Au contraire. C’est là que les écrivain(e)s nouvelle génération partagent des infos, répondent à leur lectorat, lui signalent une signature, leur présence sur un salon. Du côté d’Internet toujours, ne pas oublier dans le succès rencontré par les « feel good books », qu’ils soient mis en ligne en autoédition ou publiés par des grandes maisons, le rôle joué par les blogs tenus par des passionné(e)s qui partagent leurs coups de cœur. Des critiques littéraires amateurs mais prescripteurs, de toute évidence.

Lecture de crise

Mais pourquoi ces livres se vendent-ils particulièrement bien actuellement ? Selon l’anthropologue Michèle Petit, cela est typique des crises. Pas seulement financières, mais morales ou autres : « C’est apaisant que quelqu’un mette des mots sur ce que l’on a vécu. » Et dans le cadre d’une crise sanitaire ? C’est le cas aussi ! Globalement, les Françaises et les Français ont beaucoup lu lors du premier confinement (8 sur 10 au moins un livre ou une BD ; 34 % ont lu davantage qu’en temps normal). Impossible à dire pour celui que nous vivons au moment où nous écrivons ces lignes confinées, mais nous avons dans l’idée que ce genre de romans, destinés à l’origine à la lecture estivale, sous format classique ou mieux, en poche (les ventes ont été démultipliées quand ces ouvrages sont parus en poche, car ils se prêtent aux déplacements), devraient voir leurs ventes frémir en cette fin d’année… À eux la lourde charge de nous redonner le sourire, voire à soigner notre vague à l’âme et notre dépression qui guette. Ce n’est pas une phrase en l’air : le roman L’élégance du hérisson, paru en 2006, est prescrit par certains psychothérapeutes pour que leurs patients poursuivent leur travail de thérapie à la maison !

* Au cœur du succès des romans « feel good », Le Parisien, avril 2019
** La tendance « feel good books » : c’est bon pour le moral, Femme actuelle, juillet 2015
*** Romans « feel-good » : la recette du bonheur ?, sur psychologies.com, novembre 2020

Sébastien Drouet

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