En le croisant dans une rue d’Orléans, on pourrait croire que c’est une mauvaise chute qui lui a amoché l’arcade sourcilière. Cette balafre date pourtant d’un jour de révolution, en 2011. Dès les premiers jours de la révolte, Manar Bilal est descendu dans la rue pour manifester. Arrêté, il a été jeté en prison sans autre forme de procès. Passé à tabac, il n’en sortit qu’un mois plus tard, salement esquinté, puis se tint à carreau jusqu’à son départ pour la Jordanie, quatre mois plus tard. Pendant trois ans, il fit alors, en tant que bénévole, le tour de trois camps de réfugiés syriens, du Liban jusqu’à la Turquie. Dans ses bagages, il avait emporté un appareil photo. Au camp de Zaatari, en Jordanie, il capta la détresse des enfants et le drame éducatif qui était en train de se jouer sous ses yeux : des gamins livrés à eux-mêmes, entassés dans des classes de fortune, dont l’avenir s’écrivait – et s’écrit toujours – en pointillé.
Ces photographies poignantes, Manar Bilal les a exposées jusqu’au 5 février au Théâtre d’Orléans. Il les déménagera prochainement à Paris, Berlin ou Stockholm. Accueilli à Bou en janvier dernier, il devrait rester en France pendant une durée indéterminée, puisqu’il prétend au statut de réfugié politique. À moins que… « Si demain Bachar part, je retourne tout de suite en Syrie », dit-il. Ses parents sont restés à Damas, son frère est aux États-Unis. Depuis un an, au contact d’un collectif d’habitants de Bou qui l’a aidé à s’intégrer et lui a présenté François-Xavier Hauville, le directeur du Théâtre d’Orléans, son français a pris corps. Il reste encore laborieux, mais avec quelques mots d’anglais supplétifs, Manar Bilal fait très bien comprendre les raisons de sa colère. La Syrie des Assad ? « Bad libertés, bad Droits de l’Homme… » souffle-t-il, le visage soudain devenu dur. Pas besoin d’un dictionnaire pour saisir la quintessence de son ressentiment.