Le magazine féminin des Orléanaises (depuis 2010)

POURQUOI LES TANGUY ONT-ILS DU MAL À QUITTER LE NID ?

EN 2001, ETIENNE CHATILIEZ, À TRAVERS SON FILM TANGUY, MONTRAIT UNE FACE JUSQU’ALORS CACHÉE, PRESQUE TABOUE, DE LA SOCIÉTÉ: CES ENFANTS DEVENUS ADULTES INCAPABLES DE QUITTER LE DOMICILE FAMILIAL. DEPUIS, LA COMÉDIE A PRIS UN TOUR SEMIDRAMATIQUE: À CAUSE DE LA CRISE, ILS SONT DÉSORMAIS PLUS DE 4MILLIONS À ÊTRE HÉBERGÉS CHEZ PAPAMAMAN. LE MARCHÉ DU TRAVAIL ET/ OU CELUI DE L’IMMOBILIER NE VOULANT PAS D’EUX, ILS N’ONT HÉLAS PAS LE CHOIX !…

Qui sont les Tanguy (et les Tanguettes) ? Des étudiants qui multiplient des cursus longs (comme dans le fi lm), des diplômés qui ne trouvent pas de travail dans leur branche, ou des inactifs qui n’envisagent pas la vie sans papa- maman – dans un premier temps du moins. Des « adulescents » qui ne veulent pas grandir, qui restent chez leurs parents par goût du confort, dans une semi-autonomie, en restant libres de leurs horaires, libres d’inviter qui ils veulent dans cet espace réservé qu’est devenue leur chambre. Ils ne sont plus des enfants, mais des adultes vivant chez leurs parents, nuance. Ils en arrivent même à s’occuper de leurs géniteurs, en les aidant financièrement, en faisant le ménage, en les distrayant même, véritables remparts humains contre la solitude et l’ennui… Pour aller plus loin, ce phénomène pourrait être lié à une tendance marquée au consumérisme de loisirs, à la recherche du bien-être aussi ; pourquoi consacrer son argent au loyer, à la nourriture, aux factures diverses et variées, quand il peut ne l’être qu’à des activités ou des sorties ? Au moins pendant quelques années… Devenir indépendant ? On verra à trente ans !

TANGUY ET BOOMERANG KIDS

Ça, c’est le côté sympa du « tanguisme »… Or, depuis 2001, la situation a changé : d’amusante, elle est devenue inquiétante. En France, 4,5 millions de majeurs, dont 1,3 million de plus de 25 ans, se retrouvent aujourd’hui dans la case « Tanguy », ou dans celle des « Boomerang kids », un terme inventé par la sociologue canadienne Barbara Ann Mitchell pour désigner ceux que l’INSEE définit ainsi : « Personnes de plus de 25 ans revenues vivre chez leurs parents ou grands-parents après une expérience de logement indépendant, faute de pouvoir accéder à l’autonomie résidentielle. » Qu’ils soient étudiants attardés, chômeurs ou même salariés, tous se heurtent à un problème qui prend de l’ampleur : la crise sous tous ses aspects. La crise économique et immobilière surtout. Comment se jeter dans la vie active à 22 ans alors que le chômage touche 24 % des jeunes et que les études, ces sacrées études, sont encore le meilleur bouclier contre ce fléau ? Et quand bien même ! Puisque 1,5 million des majeurs hébergés chez leurs parents ont un emploi, dont la moitié en CDI, on peut en conclure que le problème vient d’ailleurs. De l’ « autonomie résidentielle » dont parle l’INSEE…

CDI INSUFFISANT

Pour les Tanguy de nature ou les Boomerang kids, revenus trouver du confort et du réconfort chez papa-maman (ou papy-mamy), c’est l’accès à l’immobilier qui est devenu impossible. « Parmi les jeunes hébergés, 18 % sont au chômage, analyse la Fondation abbé Pierre*. Et même s’ils occupent un emploi, celui-ci n’est pas suffisamment rémunéré pour subvenir aux besoins : on trouve 55 % de personnes rémunérées parmi les 25-34 ans hébergés chez leurs parents. Bas salaires, temps partiels, contrats précaires empêchent le dossier d’être accepté dans le parc locatif privé. Même un CDI ne le facilite pas forcément. » Une situation pas nécessairement insurmontable pour les Tanguy, mais que l’on imagine douloureuse pour les Boomerang kids – en France, 1 million de majeurs sont dans ce cas précis, de retour après une autonomie de plus de trois mois. Un come-back home forcément synonyme d’échec. « Pour eux, poursuit la Fondation abbé Pierre, le retour chez les parents n’est pas une simple solution transitoire avant de reprendre rapidement le chemin de l’autonomie, mais un passage qui s’éternise, avec les frustrations individuelles et les tensions familiales qui peuvent l’accompagner. Pour la moitié de ces hébergés, le retour au domicile familial s’impose dans des circonstances particulièrement difficiles : rupture familiale, perte d’emploi, problèmes de santé, soucis financiers, expulsion, etc. »

INJUSTICE ET INÉGALITÉ

Le phénomène, anecdotique autrefois, est devenu dangereux, voire explosif. D’une part, demeurer chez ses parents alors que l’on avance en âge est évidemment un frein à l’autonomie, et surtout à l’expérimentation d’une vie de couple, de famille. « De plus, souligne la Fondation abbé Pierre, le recours à l’entraide familiale se révèle très inégalitaire en fonction de la situation sociale des parents ; certains jeunes pourront cohabiter dans de bonnes conditions, sans surpeuplement ni inconfort, mais pour d’autres, ce sera le contraire. » Et pour la sociologue Camille Peugny**, « tout ce qui fait reposer la situation sur la famille est le système le plus injuste et le plus inégalitaire qui soit. Le fait que les états se défaussent sur les familles ne peut avoir qu’un temps. C’est devenu un problème de société majeur ! » Les Tanguy, en 2016, ne font plus rire du tout…

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