« Les racistes sont des gens qui se trompent de colère », disait Léopold Sédar Senghor. Autrement dit, devant des frustrations, des énervements, des injustices, les gens racistes s’en prennent aux minorités qu’ils croient complices, ou causes, de leurs problèmes. Heureusement, tout le monde n’a pas le même comportement face aux difficultés. Mais justement, pourquoi certains tombent-ils dans ces travers (plus que cela, même) ? Quelles sont les racines des maux divers qui empoisonnent la société ? Des maux qui tuent. Pour répondre à ces questions, Edith a plongé en eaux troubles… !
S’il n’a pas d’âge, le « racisme », en tant que vocable, est apparu en 1902 en France et en Grande-Bretagne, avant d’être couramment employé en Allemagne dès les années 20. Ses manifestations extrêmes, nous les connaissons, elles sont écrites en lettres de sang dans nos livres d’histoire : nazisme, esclavage, ségrégation. Sans aller jusque-là, il commence évidemment à des degrés bien inférieurs, par des propos, des injures, des menaces. Il y a aussi l’évitement, tellement humiliant, la persécution. Sans oublier les discours, ou les écrits, justifiant la domination de certains groupes humains par d’autres1. Encore que ce dernier point ait évolué, car le racisme ne correspond plus à la croyance en l’appartenance à une race supérieure. En 2019, il est fait de peur, d’inquiétude, devant l’autre qui est différent de soi et que l’on ne parvient pas à comprendre. Il suffit qu’un sentiment d’insécurité remonte à la surface, et le racisme s’exprime…
Bébés discriminants
Ses racines sont profondes. L’émission de télévision suisse Specimen (RTS), analysée par le site www.psychologie-sociale.com, s’est livrée à diverses expériences scientifiques, l’une « montrant qu’à moins d’un an, des bébés sont déjà capables de catégoriser des animaux en peluche, marquant leur préférence pour celui qui, à ce que leur font croire les parents, partage leurs goûts (en l’occurrence le chocolat), et manifestant de l’hostilité pour celui qui est différent (parce qu’il aime les haricots verts). » Dans une autre expérience, des enfants à qui l’on présente des dessins de personnages à la peau noire et blanche valorisent systématiquement ceux de leur propre ethnie. Selon Stéphanie Dumoulin, professeur de psychologie, « on ne peut pas évoluer dans un monde social où l’on traite chacun comme un individu. Créer des catégories est normal. Le problème, c’est que l’on ne se contente pas de créer ces catégories. Nous avons naturellement une motivation à nous percevoir, nous-mêmes et les groupes qui nous ressemblent, positivement. Et à percevoir les groupes les plus éloignés de nous moins positivement. On commence alors à faire des différences entre les groupes… »2
C’est donc très tôt qu’il faut éduquer, favoriser l’ouverture aux autres. Inclure la minorité avec ses particularités dans la sphère publique, pour qu’elle soit plus visible et donc « dédiabolisée »3. Apprendre le respect, qui vaut pour tout le monde. Considérer la personne étrangère ou d’une ethnie différente comme un alter ego, un « alter égal », même. Les dignitaires nazis s’écriaient : « Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver. » En toute logique, la meilleure arme contre leur idéologie, c’est la culture. Et l’espoir. Car il ne faut jamais désespérer, même des racistes. On connaît l’exemple d’un ancien membre du Ku Klux Klan qui, à force d’échanger avec sa principale ennemie, une femme activiste noire, est devenu lui-même militant antiraciste !
Un mâle, des maux
Autre poison : la misogynie. Qui a un point commun avec le racisme d’antan, l’homme se croyant supérieur à la femme. Il n’a pas besoin d’être admiré (en cela, il n’est pas un pervers narcissique), mais de contrôler, souvent dans le cadre de relations durables. Contrôler parfois jusqu’à la violence (rappelons qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, une 100e femme vient de décéder en France en 2019 sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint).
Selon la psychologue américaine Susan Forward4, le besoin de pouvoir du misogyne s’exprime dans tous les domaines de la vie de couple : relations sexuelles (critiques de sa compagne, égocentrisme, rejet du corps féminin, perversion, brutalité), contrôle financier, vie sociale, contrôle des pensées, des opinions, tandis que les enfants sont manipulés contre elle par « l’enfant numéro 1 ». Mais pourquoi un homme devient-il misogyne ? En fait, ce comportement dissimule une anxiété extrême envers les femmes. En affaiblissant la sienne pour qu’elle ne soit pas en mesure de le quitter, il repousse le spectre de l’abandon. En creusant bien, on trouve derrière le misogyne une mère qui s’est servie de son fils pour satisfaire ses propres besoins émotionnels, créant ainsi dépendance et peur. Des besoins insatiables, que l’enfant devenu ado devenu homme s’imagine incapable de satisfaire chez toutes les femmes. D’où haine. Ou bien une mère surprotectrice qui n’apprend pas à son fils la frustration. Celui-ci croit donc que tout lui est dû, tout en étant hyper-dépendant d’une relation. Ou encore une mère maltraitante, ce qui va amener l’homme à rechercher l’amour chez une autre femme. Un amour teinté de détestation… Mais il n’y a pas que la mère ! Le cas du fils qui prend exemple sur son père lui-même misogyne est fréquent.
Sans oublier, rappelle Susan Forward, une misogynie « culturelle », de nombreux hommes s’imaginant que leur virilité dépend de leur pouvoir de contrôle et de domination des femmes. Malheureusement, les pubs, les films renforcent cette image contre laquelle luttent quantité d’associations.
Dès lors, quelles solutions ? Une prise de conscience de la victime, d’abord (facile à dire…). Eh oui : dans une relation où s’exprime la misogynie, l’homme est plus dépendant de la femme que l’inverse. Sauf qu’elle ne le sait pas ! Quand elle s’en rend compte, écrit la psychologue américaine, l’épouse ou la concubine peut prendre les commandes et s’affirmer. Cela peut passer par une thérapie de couple. À un détail près que vous avez deviné : il faut que l’homme soit d’accord… La plupart du temps, les femmes qui prennent ce chemin le poursuivent seules… ou avec un autre.
La grande peur de l’homosexualité
Plus de 90 % des gays, lesbiennes, bi et trans ont été victimes au moins une fois d’un acte homophobe. Pourquoi l’homophobie ? Par peur de la différence, par appartenance à une religion elle-même homophobe, par faible estime de soi d’où hostilité envers les autres, par incapacité d’accepter ses propres attirances, ou encore à cause des modèles hétéros machos dans les films, les pubs, autour de soi… Tout cela va générer un « climat » clairement présent dans la société – quel est le but de paroles et slogans homophobes dans un stade de foot, sinon chercher à stigmatiser l’adversaire en lui attribuant une sexualité qu’il n’a peut-être pas ? – ou plus directement un ressentiment à l’égard des personnes qui ont choisi de vivre ce qu’elles sont au grand jour. C’est là en effet, depuis que les homosexuels ont acquis de nouveaux droits, que l’homophobie a explosé. Est-ce la peur de voir l’hétérosexualité en danger ? Pourtant, rien n’empêchera jamais les hétéros de s’unir. Pour le sociologue Andreas Langenohl5, « lorsque les personnes homosexuelles réclament le droit au mariage et à l’adoption, elles remettent très fortement en question les rôles traditionnels. Selon ce modèle, les tâches sont réparties en fonction du genre. L’homme gagne l’argent de la famille et la représente à l’extérieur, la femme s’occupe du foyer et des enfants tout en soutenant le mari. Les gays et lesbiennes montrent à la société que ces rôles bien rôdés n’ont rien de naturel, qu’il s’agit au contraire d’une norme culturelle. Les gays et lesbiennes sont en général détestés partout où l’on trouve une conception très traditionnelle de ce qu’est un homme ou une femme. » S’il est difficile de capter une partie de la population, la solution pour protéger les jeunes passe par la prévention en milieu scolaire, des associations comme SOS homophobie intervenant dans les collèges pour déconstruire les clichés et combattre les préjugés. Sans cesser de rappeler le droit au respect de chaque personne, de faire réfléchir chacune, chacun, sur ses propres attitudes.
Contre le racisme, la misogynie, l’homophobie, toujours les mêmes armes… avant la loi.
Sébastien Drouet
1 Réseau Canopée, fiche « Éduquer contre le racisme et l’antisémitisme »
2 « Comment fonctionnent les mécanismes qui mènent au racisme ? », lesoir.be
3 Noumane Rahouni, « La psychologie du racisme », huffingtonpost.fr
4 Men who hate women. The women who love them, Dr Susan Forward, analysé par Virginie Loÿ sur une-chose-par-jour.com
5 Pourquoi l’homophobie ?, amnesty.ch
Les personnes handicapées aussi
Peut-être avez-vous vu la photo de cet habitant de l’Ohio condamné à porter autour du cou une pancarte expliquant qu’il s’en prenait à des enfants (ses petits voisins) handicapés. Eh oui, l’handicapophobie aussi, ça existe. Un personnage célèbre en était atteint : « Une incarnation de John Lennon qui apparaît rarement sur les photos est celle de John le harceleur de handicapés, lit-on dans un Rock’n’Folk consacré aux Beatles. Il s’adonnait beaucoup à ce petit jeu, ricanant à la figure des victimes de la Seconde Guerre mondiale dans les rues de Liverpool. » « Allergique aux infirmes », Lennon avait peur de ce qui ne lui ressemblait pas, de ce qui n’était pas dans la norme. La solution contre cette phobie ? Le vivre-ensemble et la tolérance. Mais ce ne sont que des mots. Plus concret : la place faite aux personnes handicapées dans les lieux publics pour être considérées comme des valides, la place dans les entreprises (ce qui est loin d’être le cas)… et la condamnation du coupable, en cas d’handicapophobie, à porter une pancarte autour du cou. La honte peut se révéler un antidote très efficace…