Pourquoi se contenter d’une seule activité professionnelle ?
Connu depuis très longtemps aux usa, mais pratique lĂ -bas surtout pour des raisons financières, le slashing – le fait de cumuler diffĂ©rents emplois – a explose en France a la fin de la dĂ©cennie prĂ©cĂ©dente. Il faut dire que tout nous y invite. Alors, pourquoi se contenter d’une seule activitĂ© professionnelle quand on peut en exercer plusieurs ? Surtout lorsque l’on trouve, grâce a ce modèle, Ă©quilibre et bien-ĂŞtre…Â
Â
Si vous êtes allergique aux anglicismes, il faudra pourtant vous habituer à celui-ci, qui risque d’occuper une place durable dans notre vocabulaire : le slashing, le fait de cumuler deux ou trois activités professionnelles, concernait déjà , selon l’INSEE, 2,2 millions de Français en 2011. Et depuis, cela n’a fait qu’augmenter. Différent du jobbing qui consiste à bricoler ou à donner un coup de main moyennant rétribution, le slashing en tant que concept a été défini dans les années 2007-2008 : le mot est tiré du « slash », le signe typographique qui sépare, dans le cas des pluriactifs, leurs diverses occupations. Le phénomène n’est pourtant pas très nouveau : on le connaissait déjà aux États-Unis, à la différence près qu’il s’agissait là -bas, depuis des décennies, d’une pluriactivité subie, rendue obligatoire pour des raisons financières. En France, ce mode d’emploi, plus courant chez les femmes que chez les hommes (85 % des slasheurs sont des slasheuses), résulte majoritairement d’une démarche volontaire.
Merci Internet
Issu des générations post-60’s qui connaissent encore, heureusement, l’emploi salarié en CDI, le slasheur a parallèlement intégré l’idée de précarité, tout en tendant vers la meilleure qualité de vie possible sans pour autant faire fortune. Mettez tous ces ingrédients dans un shaker, secouez bien, et vous obtiendrez une personne généralement à fort capital culturel, pour qui l’important est de s’épanouir en exerçant, en plus d’une profession alimentaire, un autre métier, celui de son cœur. Un rêve rendu possible grâce à deux facteurs récents : tout d’abord, Internet, encore et toujours, qui permet, selon la sociologue Marci Alboher* (inventeuse du terme « slasher »), « d’apprendre de nouvelles compétences, d’accéder à toutes sortes de formations, de développer aisément de nouvelles capacités professionnelles », mais aussi de promouvoir sa deuxième activité, de gérer sa com’, d’entretenir son réseau…
Second facteur, bien français celui-là  : la création en 2008 du statut d’auto-entrepreneur, qui offre à chacun la possibilité de se lancer dans l’activité de son choix (sous conditions pour certains métiers bien sûr), sans prendre de risques financiers puisqu’on ne paie de charges que sur les bénéfices que l’on dégage.
Personnalités doubles
Sont donc apparus, au fil des ans, des profils pour le moins inattendus : ostréicultrice/styliste de mode, journaliste/créatrice de vêtements, magicien/cuisinier – ou l’inverse –, boulanger/galeriste d’art (nous en connaissons un !)… Un dédoublement qui ne mène pas forcément à la schizophrénie, mais qui permet aux pluriactifs en question de ne pas dépendre d’un seul patron. Qui leur permet surtout d’enrichir leur personnalité, de multiplier les expériences, de mieux gagner leur vie aussi, ne l’oublions pas, même si derrière ce phénomène se cache une réalité moins rose : selon ceux qui étudient la société et son évolution, le slashing naît du fait que les contrats des salariés sont de plus en plus courts, et les revenus de plus en plus faibles… Dans ces conditions, le slashing apparaît comme une réponse, qui ne convient cependant pas à tout le monde. Car tout le monde ne peut pas être un « travailleur pluriel » ; on peut préférer – quand on a le choix –
le contrat unique pour un emploi unique, et ne pas avoir spécialement envie de se frotter, comme les slasheurs, à un volume horaire effrayant ni aux contraintes familiales que cela suppose. Sans parler de la pression permanente qu’engendre, le cas échéant, le statut d’indépendant qui court après les clients…
Pour autant, on compte très peu de burn-out chez les pluriactifs. Car bien souvent, leur deuxième salaire se mesure (en partie) en épanouissement, équilibre et
bien-être…
* Marci Alboher, One Person/Multiple Careers : A New Model for Work/Life Success, sorti aux États-Unis en 2007.
Le slashing, côté psy
Selon un article posté sur lexpress.fr en mars 2011, « cumuler les jobs est un moyen de se tenir en retrait, de demeurer sur son quant-à -soi, en ne s’engageant jamais complètement ». Attention en outre, préviennent les psys, à ne pas fractionner son identité… Si cela ne concerne pas franchement les personnes exerçant deux activités, on ne peut en dire autant des super-cumulards, qui en pratiquent jusqu’à quatre ! Difficile de jongler, surtout quand il faut présenter un visage à chaque fois différent… et quand les soucis générés par un emploi gâchent le développement des autres.
Des Orléanais témoignent
Irène, 49 ans/assistante de direction/serveuse : “La plupart de mes amis me dĂ©finissent volontiers comme une « hyperactive ». D’aussi loin que je me souvienne, depuis mon entrĂ©e dans la vie active, j’ai toujours cumulĂ© deux emplois avec bien entendu des phases d’arrĂŞt. Statut de maman oblige ! J’ai trois enfants. J’ai fait beaucoup de va-et-vient professionnels. J’ai travaillĂ© en imprimerie, chez Publi 45, chez Canon… avec en plus des emplois le soir dans les milieux de la restauration, de l’hĂ´tellerie. Aujourd’hui, je suis assistante de direction dans un Centre de promotion de la Culture Scientifique, Technique et Industrielle, et depuis 3 ans, je suis serveuse le soir, du jeudi au samedi Ă la Buvette. StĂ©phane cherchait quelqu’un, nous nous sommes rencontrĂ©s par l’intermĂ©diaire de Florent, du restaurant voisin, La Mangeoire, oĂą j’ai Ă©galement travaillĂ©. Nous avons eu un vrai coup de cĹ“ur humain. Cela exige une organisation, mais j’adore les changements de rythme, ça casse la routine, de jongler avec diffĂ©rents statuts, d’autres ambiances de travail. C’est rĂ©ellement un choix de vie, qui me permet d’évoluer dans deux univers totalement opposĂ©s, l’un cartĂ©sien, l’autre joyeux et convivial. Je trouve qu’exercer plusieurs activitĂ©s professionnelles permet vraiment de garder l’esprit vif et ouvert.”
James, 47 ans/dĂ©co/mode/beautĂ© : “VĂ©ritable touche-Ă -tout en plus de trente ans de vie professionnelle, James est connu de beaucoup d’OrlĂ©anais. Il a fait ses premiers pas en tant que coiffeur Ă l’âge de 16 ans, dans le salon de Christophe Parisot, puis chez Jacques Dessange, Ă l’époque d’Alain Brault. Il a tenu la boutique Cacharel, a créé un salon de thĂ© face Ă la cathĂ©drale, puis s’est essayĂ© Ă la mise en beautĂ© des vitrines d’Alain Liger. Avant de lancer sa première boutique de dĂ©coration marocaine dans un appartement en rez-de-chaussĂ©e, rue du BĹ“uf Saint Paterne : « Je suis curieux de nature, j’aime dĂ©couvrir des univers diffĂ©rents et m’inspirer des concepts parisiens. » Il y a 10 ans, il cumulait deux activitĂ©s : sa boutique Ange DĂ©co la journĂ©e, et l’accueil dans une discothèque de minuit jusqu’au petit matin. « Je m’organisais pour avoir mon dimanche et mon lundi matin, je me suis adaptĂ© au rythme. » Puis, il a rajoutĂ© une troisième activitĂ© par plaisir, mais aussi pour des raisons Ă©conomiques : le bar l’Annexe, de 18 h Ă 1 h avant de rejoindre la discothèque. Un rythme fou qui semblait lui convenir jusqu’à ce que son corps lui dise stop. Il a arrĂŞtĂ© de travailler la nuit et en a profitĂ© pour agrandir ses boutiques de dĂ©stockage d’accessoires de mode et de dĂ©co. Aujourd’hui, on le retrouve le vendredi et le samedi Ă l’accueil du salon Dessange – ses premières amours – et dans ses boutiques le reste du temps. Mais il a dĂ©jĂ un nouveau projet nocturne en tĂŞte. Ă€ suivre…”