Une archive trouvée par hasard, en furetant, nous a interpellés : la photo officielle des conseillers généraux du Loiret en 1979. Des conseillers généraux et de LA conseillère générale, car il n’y a qu’une seule femme au milieu de tous ces messieurs costume-cravatés. « Au milieu » ? Façon de parler. Plutôt sur le côté, à part. Pourtant, avec ses vêtements clairs, on ne voit qu’elle. Pour Edith, Christiane Sarrailh se rappelle…
Il fallait que je parle la première, sinon, j’avais beau lever la main, on ne me passait pas la parole
Les élections départementales et régionales se tiendront les 20 et 27 juin. Grâce aux lois sur la parité, on comptait en France 48 % de femmes siégeant dans les conseils régionaux au 1er janvier 2020 – elles n’étaient que 27,5 % en 1998 –, tandis que l’exacte moitié de chaque assemblée départementale est désormais composée de conseillères, et ce depuis les élections de 2015 (qui ont vu en outre le remplacement des conseils généraux par les conseils départementaux). Quel changement dans une institution longtemps phallocrate… Ainsi, sur l’ensemble du territoire national, il n’y avait que 13,8 % de conseillères générales en 2011. Plus frappant : au Conseil général du Loiret, au début des années 80, il n’y avait qu’une seule femme, contre 43 hommes* !
Une surprise
À l’époque, Christiane Sarrailh était adhérente du Parti socialiste, à la section d’Olivet. « Les élections cantonales arrivaient, mais les hommes ne voulaient pas y aller. » Il faut dire que le canton, avec six communes de droite, était en théorie ingagnable. « On m’a poussée, je me suis dit ʺpourquoi pas ?ʺ… C’était une aventure. » Or, les deux candidats de droite s’étant maintenus au deuxième tour, c’est Mme Sarrailh, alors âgée de 39 ans, qui l’a emporté au terme d’une triangulaire. Surprise ! « Le soir, je ne m’étais même pas rendue au dépouillement, on est venu m’annoncer la nouvelle. » Un qui n’a pas immédiatement réalisé non plus, c’est le gardien de la Préfecture, dans le périmètre de laquelle était situé le Conseil général : « Le premier jour, il m’a demandé ce que je venais faire, je lui ai répondu que je voulais entrer pour assister à la séance ! »
Toujours à l’écoute
Quant aux collègues conseillers généraux, ils ne brilleront pas par leur galanterie, ou tout simplement leur savoir-vivre. « Il fallait que je parle la première, sinon, j’avais beau lever la main, on ne me passait pas la parole. Je ne peux pas dire que l’ambiance était bonne. » À la décharge de ces messieurs, Christiane Sarrailh reconnaît, dans un sourire, qu’elle était « cash », ce qui a pu surprendre, effaroucher peut-être… « Je n’étais pas tendre hors séance, mais en séance, c’était guindé. Eux non plus n’étaient pas tendres avec moi. Une femme, ça les dérangeait. Femme de gauche en plus. » Elle s’est fait néanmoins quelques amis parmi ses collègues, y compris ceux d’une autre couleur politique. « Il ne faut pas être sectaire, à partir du moment où les élus sont simples et s’occupent de leur mandat. »C’est ce que la conseillère générale s’est appliquée à faire durant six ans, en restant à l’écoute de la population : « Même des femmes qui n’étaient pas de mon canton venaient me voir pour des problèmes de divorce, de garde d’enfant. »
« Mesdames, prenez les places ! »
Suppléante de Jean-Pierre Sueur quand celui-ci a été élu pour la première fois député (en 1981), Mme Sarrailh se présentera à sa propre réélection aux cantonales, mais ne sera pas réélue. Féministe dans l’âme, elle se félicite aujourd’hui de la parité qui prévaut désormais dans son ancienne assemblée. À un détail près : « Il y a des binômes maintenant, mais tout de même, les hommes sont mieux mis en valeur, pas suffisamment les femmes. » Et elle regrette aussi qu’il n’y ait toujours pas de présidente du Loiret* ! Plus globalement, elle encourage les jeunes femmes à ne pas baisser les bras. « Il faut vous engager, militer dans des associations. On a obtenu des droits, mais si vous baissez les bras, on va revenir en arrière ! Prenez les places ! »
*Christiane Sarrailh a été la deuxième femme élue au Département. La première, Cécile Giry, a été élue en septembre 1945, au sortir de la guerre, alors que les femmes venaient d’accéder au droit de vote (ordonnance du 5 octobre 1944). Après elle, il faudra donc attendre 1976 pour qu’une femme siège de nouveau dans la noble assemblée !
**En France, jusqu’aux élections de 2021 tout du moins, 12,4 % des départements étaient présidés par des femmes.
Sébastien Drouet