Certaines femmes ont choisi de mettre leur carrière entre parenthèses pour élever leurs enfants. D’autres se sont retrouvées dans l’obligation d’embrasser le métier de mère au foyer, pour un temps plus ou moins long, pour la vie parfois… Quitte à subir les foudres de la société – qui les prenait pourtant comme modèles dans les années 50. Alors, « inutiles » et « oisives », les femmes au foyer ?
Les statistiques ne font pas toujours dans le détail. Ainsi, les femmes au foyer, qui s’occupent de la maison du matin (très tôt) au soir (très tard), sont classées dans la catégorie « inactives ». Selon l’INSEE, elles étaient encore, en 2011, 2,1 millions dans ce cas, contre 3,5 millions en 1991 et 5,5 millions en 1968, le modèle ayant tendance à disparaître peu à peu pour des raisons que nous verrons plus loin.
Qui sont-elles ? D’après l’INSEE, « elles vivent au sein d’un couple et sont âgées de 20 à 59 ans, n’occupent pas d’emploi et ne sont ni au chômage, ni étudiantes, ni retraitées. On ne considère que les femmes en couple car ce sont surtout ces femmes qui peuvent avoir à choisir entre se consacrer exclusivement à leurs responsabilités familiales ou exercer une activité professionnelle. Les couples identifiés par les recensements peuvent être mariés ou non. »
Fin de contrat
Plus diplômées qu’autrefois, mais moins que les femmes actives, elles sont 79 % à avoir déjà travaillé, et si elles ont arrêté, c’est d’abord parce que leur CDD est arrivé à son terme (motif de 35 % des femmes au foyer, contre 10 % en 1991). Pour 11 %, c’est suite à un licenciement économique. Les autres avancent des « raisons personnelles ». « Certaines femmes peuvent se décourager, explique l’INSEE. Ne recherchant plus véritablement d’emploi, elles deviennent alors inactives. » Un ressenti, seulement : difficile de distinguer avec précision ce qui relève de la difficulté à trouver un nouvel emploi – ou une place en crèche ! – de ce qui est un choix personnel, décidé avec le père de ses enfants*.
Ce choix a été fait par nos témoins, qui ont préféré passer du temps à la maison avec leur progéniture que la confier à une assistante maternelle… Diplômées, elles ont ouvert une parenthèse de plusieurs années, l’ont parfois refermée pour se lancer dans une nouvelle activité qu’elles n’auraient pas forcément imaginée si elles n’avaient pas été femmes au foyer. Mais pendant tout ce temps passé à la maison, que n’ont-elles pas entendu sur leur compte !
Desperate housewives
« La plupart des mères au foyer des années 2000 ont été élevées dans la perspective d’être des femmes actives, avec un métier, écrit Marie-Pascale Delplancq-Nobécourt dans Oser être mère au foyer. Elles ont fait des études, travaillé un certain nombre d’années. » Et, qu’elles aient choisi leur situation ou qu’elles la subissent, elles peuvent être tourmentées par le fait que leurs compétences soient gâchées, leur rôle considéré comme nul. Surtout, le prix payé est lourd. C’est d’abord la dévalorisation sociale, et une méfiance généralisée de la part d’à peu près tout le monde. C’est à croire qu’elles gênent, qu’elles la jouent perso, ces femmes qui vont dans le sens inverse du courant, quand tout n’est que consommation, autonomie, réalisation personnelle, temps pour soi… « Elles jouent contre le marché, elles consomment moins », indique M.P. Delplancq-Nobécourt. Leurs valeurs sont opposées à celles du tout-économique ; elles transmettent à leurs enfants l’écoute, le partage, l’attention, l’aide, alors que partout, il n’est question que de performance, de consommation à outrance, d’écrasement des autres et de culte de l’argent-roi !
Le bon rythme
Et pourtant, quels reproches peut-on faire à celles qui, assumant une baisse de revenus pour le ménage, ou au mieux profitant d’un droit (le congé parental), sont à la sortie de l’école à « l’heure des mamans », et prennent le temps de discuter avec l’enseignant – ce qui sécurise les enfants ? Quels reproches faire à celles dont la présence garantit le respect du rythme de vie, et de celui – très important ! – du sommeil ? À celles qui surveillent les devoirs, qui se font complices, qui assurent le confort moral et physique de leur descendance ? Que d’avantages dans cette vie de mère au foyer, finalement ! « Elles sont avant tout convaincues de la qualité de l’éducation qu’elles donnent à leurs enfants, poursuit la spécialiste, que ceux-ci sont heureux d’avoir maman à la maison et de ne pas rentrer dans une maison vide après l’école. (…) Sans se prévaloir de la perfection, elles estiment que leur présence peut permettre de déceler et corriger les difficultés. » Toutefois, rares sont les femmes au foyer qui se contentent de gérer seulement leur intérieur et leur famille…
Mères actives
Car elles ne sont pas ingrates envers une société qui, justement, les dénigre (parfois) : si les femmes au foyer s’investissent pour le bien-être de leurs enfants, elles donnent énormément d’elles-mêmes aux associations, et sont en première ligne dans les bataillons de précieux bénévoles. Jamais avares en temps et en énergie pour aider les autres, elles dessinent et façonnent les costumes pour Mardi-Gras ou la fête de l’école, encadrent les séances de piscine et les sorties scolaires qui, sans elles, ne se feraient pas (ou se feraient moins), tiennent les stands de la kermesse, conduisent les enfants, les leurs et ceux des autres, au sport, aux anniversaires et chez le dentiste ! Et quoi d’autre ? Hé bien par exemple, elles sont responsables des associations de parents d’élèves (« Vous, vous avez le temps… », leur dit-on), conduisent les manifs, etc. « Inactives », les mères au foyer ? Au contraire : ce sont elles, les wonder women !
*Précisons tout de même que 43 % des femmes au foyer en 2011 n’avaient pas (ou plus) d’enfants mineurs encore à la maison…
À lire : Oser être mère au foyer, Marie-Pascale Delplancq-Nobécourt, Albin Michel
3 questions à Liliane Astier, femme au foyer et sociologue
Quel regard la société porte-t-elle aujourd’hui sur les femmes au foyer ?
Les représentations sociales du modèle “femmes au foyer” renvoient à des figures faussement familières qui font écran à la saisie d’une réalité multiforme (classe sociale, trajectoire…). Elles se traduisent par un déficit de reconnaissance (sociale, juridique, statistique…) qui rend ces femmes invisibles socialement.
Ce regard a-t-il changé au fil du temps ?
Oui, car le modèle lui-même a évolué et s’est étendu à toutes les classes sociales. C’est devenu un “mythe” dont on a oublié l’histoire. Autrement dit, on a aujourd’hui tendance à penser que le modèle a toujours existé alors qu’il émerge au XIXe siècle (avec l’hygiénisme, l’évolution de l’habitat et de l’équipement ménager, la prise en charge de l’enfance…), quand les femmes ont eu à assumer de nouvelles tâches et l’enfermement au foyer.
Beaucoup de femmes au foyer le sont-elles aujourd’hui “par défaut” ? Est-ce compliqué de revenir à la vie dite “active” après l’avoir mise entre parenthèses pendant quelques années ?
D’une part l’activité des femmes a toujours été une variable d’ajustement de la mobilité sociale. D’autre part, la question de la compatibilité des tâches familiales et professionnelles est posée aux femmes et aux femmes seules ; elle peut expliquer, dans beaucoup de cas, un rapport problématique à l’emploi qui favorise le choix de l’inactivité.
Enfin, cette inactivité (qui n’est que statistique) pèse très lourdement sur le retour à l’emploi pour des raisons liées au marché du travail et aussi parce que le déficit (illégitime) de reconnaissance sociale lié au modèle est susceptible d’altérer le regard qu’elles-mêmes portent sur leurs compétences.
Ces quelques raisons illustrent la difficulté à parler de “choix” ou la difficulté, pour les femmes au foyer, de se construire comme actrices à part entière de leur propre histoire.
TEMOIGNAGES
Nathalie 37 ans, mariée, trois enfants (1 an, 4 ans, 7 ans), professeur des écoles en congé parentalJe suis en congé parental depuis la naissance de mon deuxième enfant, cela fait donc quatre ans. J’ai repris le travail aux trois mois de ma fille aînée, mais malheureusement, cela s’est très mal passé avec sa première assistante maternelle. J’ai donc proposé d’arrêter de travailler. Je suis issue d’une famille de féministes où l’on pense qu’une femme doit forcément travailler hors de chez elle pour être libre. J’espère avoir réussi à les convaincre qu’une femme libre est une femme qui choisit librement comment elle veut mener sa vie. Lorsque mes enfants seront prêts, je ferai sans doute d’autres choix. Avant, je pensais que toutes les ″femmes au foyer″ devaient rester à la maison et qu’elles en souffraient, mais maintenant, je sais que l’on peut prendre beaucoup de plaisir à s’occuper de ses enfants, que c’est aussi un vrai travail. Je n’envisage plus de faire mon métier de la même façon à présent. L’arrivée de mes enfants et le fait de les garder ont tout changé. Depuis que j’ai arrêté de travailler, j’ai pu entendre une multitude de réflexions laissant sous-entendre que j’avais choisi la simplicité, l’oisiveté, ou encore que j’étais une femme sous la domination de mon mari. Je ne suis pas rémunérée et je travaille non-stop toute la journée ; je suis également bénévole dans deux associations pour lesquelles je m’investis en fonction de mes possibilités pendant mon temps libre. Bref, être au foyer n’est pas de tout repos… |
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Mélanie 37 ans, mariée, trois enfants (8 ans, 12 ans, 14 ans), assistante maternelle
J’ai enchaîné deux congés parentaux, pendant quatre ans, après la naissance de mes deuxième et troisième enfants. Avant, je travaillais dans le commerce à Tours – je suis titulaire d’un BTS en communication des entreprises – mais j’ai eu envie de rester avec eux quand ils étaient bébés, sachant que mes horaires de travail étaient alors peu compatibles avec ce désir et que mon mari, en pleine évolution professionnelle, avait besoin d’avoir des horaires décalés. Le choix d’être à la maison s’est imposé. Quand on me demandait ce que je faisais, je répondais ″femme au foyer, mais j’ai pris un congé parental !″ Cela donne un statut, les gens comprennent que c’est un droit… Ma famille et ma belle-famille ont bien accepté notre décision, mais en société, dans des dîners, le thème qui revient toujours, c’est le travail. Avec moi, les gens passaient rapidement, parce que tu n’as rien à raconter… Pour mon retour à la vie active, j’ai changé de métier : comme j’aime être entourée d’enfants et que j’aime être chez moi – ce qui n’est pas évident pour tout le monde, mais ce dont je me suis rendue compte à la faveur de mon congé parental –, je suis devenue assistante maternelle. Et je dis aux femmes au foyer qu’elles peuvent elles aussi faire garder leurs enfants pour avoir des moments à elles ! Elles culpabilisent, elles n’osent pas, et c’est dommage. On fait énormément de choses quand on est une mère active, les sorties scolaires, les bibliothèques. J’y ai beaucoup participé moi aussi…
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