Le magazine féminin des Orléanaises (depuis 2010)

Workaholisme, bigorexie, jeu… Tous addicts ?

Acheteuses compulsives, accros au sport, connectés permanents, joueuses invétérées, travailleurs inarrêtables, amants insatiables… Les exemples d’addicts, quel que soit l’objet ou le sujet de leur passion, ne manquent pas. Mais à quel moment devient-on dépendant ? Et à partir de quand cela devient-il dangereux ?

Même si elles ont en commun la recherche d’une ivresse, d’une excitation intellectuelle et/ou physique, toutes les addictions ne sont pas à mettre dans le même sac. Car, comparées à la dépendance aux produits, certaines addictions comportementales sont plutôt bien perçues, voire même valorisantes. Le sportif accompli – hyper- accompli même – ou la bosseuse qui déprime à l’idée de devoir patienter tout un week-end avant de revenir au bureau, peuvent être considérés comme de grands actifs débordant d’énergie. Appelons dès lors leur passion dévorante une « addiction positive ». « Pourtant, écrit le docteur Dan Véléa*, on rencontre une véritable souffrance physique et psychique parmi les addictés positifs. (…) La pratique excessive met en évidence une conduite addictive (…), avec tout le cortège des signes de manque et de souffrance psychique. »

Une manière de s’adapter

Comme l’a démontré J.B. Alexander**, les addictions trouvent leurs racines dans notre société de consommation, qui détruit les valeurs de base de la famille et la cohésion entre les cellules sociales des sociétés traditionnelles. Les personnes désorganisées se réfugient alors dans l’addiction, forme d’adaptation aux conditions de vie, au stress… Le plus surprenant, c’est d’apprendre que les addictions, positives comme négatives, naissent sur un terreau commun : « La centration sur les substances psychoactives (héroïne, cocaïne, alcool, cannabis…) ou sur les addictions silencieuses comportementales – jeu pathologique, addictions sexuelles, cyberdépendance, ergomanie, sport –, sont des adaptations en rapport avec le culte de la performance, les sollicitations compétitives, le syndrome de burn-out, les épuisements et insatisfactions récurrentes. (…) Face au stress, certains usagers vont utiliser un produit de manière plus ou moins adaptée. » (Dan Véléa.)

Toujours plus !

Selon un autre spécialiste, Eric Loonis, la toxicomanie, la vraie, celle aux drogues chimiques, ne serait qu’une exagération, un emballement pathologique de nos addictions quotidiennes : « Que la dose vienne à manquer et c’est la panique. » Et dans tous les cas, il en faut toujours plus, pour renouveler nos impressions, fuir l’ennui, retrouver le plaisir… Dès lors, peut-on tout de même penser du bien de certaines addictions ? Oui, si, et seulement si, elles nous soutiennent, nous enlèvent du stress, nous rassurent, nous aident à vivre en somme. « Les souffrances extrêmes du toxicomane, ces angoisses diffuses et tenaces, nous les vivons tous, à différents degrés, mais elles sont partie intégrante de notre vie, écrit Eric Loonis***. (…) Sans elles, nos psychismes seraient éclatés, dans le brouillard, l’indétermination. » Dans une certaine mesure, tant que les dommages causés ne prennent pas le pas sur le reste – insistons bien sur ce point –, petites et grandes addictions « positives » nous aident tout simplement à être nous-mêmes…

* « L’addiction à l’exercice physique », article paru dans Psychotropes vol. 8 n°3-4 ** « The Globalization of Addiction », Addiction Research *** Notre cerveau est un drogué, Eric Loonis, Presses Universitaires du Mirail

 

 

Vous avez dit «positive»?

L’addiction positive est un concept créé en 1976 par William Glasser, qui met en opposition une dépendance ayant des conséquences bénéfiques et visibles immédiatement avec les addictions dites négatives (toxicomanies, alcoolisme). Notons d’ailleurs que d’anciens alcooliques, drogués ou grands tabagiques ont remplacé leur ancienne habitude par une autre. Une passion tout aussi vorace, mais moins destructrice, et infiniment mieux acceptée en société…

 

 

3 QUESTIONS A PAUL BRUNAULT

psychiatre et addictologue au CHRU de Tours, coordinateur régional addictions comportementales.

Pour quelles addictions vous consulte-t-on surtout ?

© Léonard de Serres
© Léonard de Serres

Les jeux de hasard et d’argent, que l’on trouve au bureau de tabac ou que l’on pratique en ligne – paris hippiques et sportifs, poker… –, les addictions alimentaires, les jeux vidéo, les addictions sexuelles. Ces dernières concernent davantage les hommes, tandis que les addictions à l’achat sont plus le fait des femmes. La dépendance au travail est marginale, car plutôt valorisante en société. Dans ce cas, le problème survient pour des personnes qui prennent leur retraite, par exemple, quand il faut gérer le « manque ».

Dans le cas d’addiction au jeu, à Internet, au sexe, etc., à partir de quel moment bascule-t- on dans la pathologie ?

Au début, c’est une conduite qui amène du plaisir. Puis les dommages – problèmes familiaux, coupures avec la société, dettes, etc. – prennent le pas. On entre véritablement dans l’addiction à ce moment-là : quand il y a des dommages, mais que la personne continue malgré tout. C’est un problème quand toute la vie est centrée sur ce sujet.

Quel est le traitement ?

Il y a une prise en charge sur le long cours avec l’objectif d’éviter ou de limiter la rechute. L’idée est de prendre le contrôle sur cette dépendance. Tout dépend si la personne souhaite l’abstinence ou la diminution. Lors de la prise en charge, il faut prendre en compte la dimension biologique (avec les effets du sevrage), psychologique (repérer les facteurs qui favorisent l’addiction et la motivation de la personne ; est-elle capable de changer ?), et sociale, en considérant que l’addiction est une rencontre entre une personne et son environnement. J’ajoute que nous vivons dans une société qui offre un accès rapide aux plaisirs. Nous sommes beaucoup plus vulnérables qu’il y a 50 ans, par exemple. www.chu-tours.fr/addictologie

Julie, 33 ans, sextos compulsives

« J’ai lu une étude qui expliquait que les garçons pensaient au sexe près de 40 fois par jour, les filles beaucoup moins… Je dois être un garçon manqué, alors ! J’y pense très souvent, ça me prend comme ça, au bureau, en voiture, au ciné, en courses, à table… Mais attention, je ne suis pas comme certaines qui utilisent des applications sur leur iPhone pour trouver des “plans cul” juste pour s’envoyer en l’air. J’ai un petit ami depuis trois ans et je suis extrêmement fidèle. Alors dès que j’y pense, je lui fais part par textos de mes envies, de mes fantasmes… Et je peux lui en envoyer plusieurs dizaines dans la journée. Je l’imagine lire ça en réunion ou au bureau, à un endroit où ça va le mettre mal à l’aise, ça m’excite. Une petite photo de mon décolleté là-dessus et je suis sûr qu’il est ravi de me retrouver le soir ! Je ne sais même plus comment était ma libido avant, je ne peux plus m’en passer. »

 

Jérôme, 42 ans, shoes addict

© MZ Moser
© MZ Moser

Loin d’être une fashion victim, Jérôme est plutôt un amateur de chaussures comme d’autres le sont du bon vin. C’est à 16 ans qu’il savoure sa première paire de Paraboot. Les mille francs de l’époque représentaient un gros budget : «Mon père m’a offert le pied droit et ma mère le pied gauche! Malheureusement, trois semaines plus tard, je les ai abîmées. J’en étais malade, alors j’ai réparé avec du Baranne pour rattraper la couleur et je les ai finalement gardées plusieurs années. J’ai changé les semelles deux fois.» Jérôme se défi nit comme un acheteur compulsif : quand il aime un modèle, il le veut dans plusieurs coloris et repart souvent avec deux ou trois paires de chaussures. Il les garde des années. Son secret ? «D’abord, je suis assez classique dans mes choix, je ne suis pas influencé par la mode, je choisis ce qui me plaît. Je mets rarement deux jours de suite la même paire, ce qui limite l’usure, et je les entretiens.» Ici, les chaussures sont bichonnées : embauchoirs en bois de cèdre, cirage en grande pompe… À une époque, Jérôme sortait ses 70 paires de chaussures une fois par an, «pour le plaisir de les redécouvrir». Mais voilà : pour son job, il a dû partir vivre de l’autre côté de l’Atlantique. En plein déménagement, il trie, il donne, et commence à voir les choses un peu autrement. «En préparant mes cartons, j’ai réfléchi à ma façon de consommer. Je me suis dit stop à la surconsommation. D’ailleurs, j’ai donné pas mal de mes chaussures. J’ai des choses à partager avec mes enfants et mes amis.»

 

Amandine, 29 ans, accro au sport

© MZ Moser
© MZ Moser

« Je faisais de la danse contemporaine et de la danse classique depuis toute petite quand j’ai découvert le modern jazz, et je n’ai pas arrêté depuis. En parallèle, je me suis mise au fitness il y a une dizaine d’années, à raison de trois fois par semaine après les cours, en plus des deux heures hebdomadaires de danse. Aujourd’hui, je travaille, et j’ai gardé le même rythme. Dès que je sors du boulot, je fonce au Cercle Michelet et c’est fitness ! Ça me permet de décompresser, de me vider la tête, de me concentrer sur autre chose, d’évacuer la tension de la journée, de lâcher prise. Lorsque je suis en vacances, je n’ai pas les mêmes besoins, mais impossible de passer une semaine de travail sans sport. Pour assouvir mes besoins, j’ai même créé cette année “Danse Form” : je donne deux ou trois cours par semaine de danse sportive, mélange de fitness et de danse, du fit dance. »

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